En 1871, Paris se soulève. Fatigué, affamé, humilié, le peuple dit non. Non à l’ordre établi, non à la monarchie rampante, non à Thiers. Soixante-douze jours durant, la Commune de Paris bouleverse l’histoire. Entre utopie, réformes et répression sanglante, retour sur cette révolution oubliée… ou mal digérée.
Le grand ras-le-bol : aux origines de la Commune
Imaginez : Paris vient de subir un siège éprouvant par les troupes prussiennes. Pendant des mois, les Parisiens ont mangé des rats, vu leur capitale bombardée, et enduré la faim, le froid et l’humiliation. Et pour couronner le tout ? L’Empire s’écroule, la République est proclamée… mais très vite dépossédée. L’Assemblée nouvellement élue est monarchiste et s’installe à Versailles – un symbole qui pique. Thiers, à sa tête, semble plus préoccupé par la restauration de l’ordre bourgeois que par les aspirations populaires.
Dans cette atmosphère surchauffée, un incident va mettre le feu aux poudres : le 18 mars 1871, Thiers ordonne la saisie des canons de la Garde nationale, achetés par les Parisiens eux-mêmes pour se défendre contre les Prussiens. Montmartre s’enflamme, au sens propre comme au figuré. La troupe fraternise avec la population, deux généraux sont exécutés, et le gouvernement fuit à Versailles. Le peuple, lui, reste. Et il s’organise.
Ce soulèvement n’est pas une improvisation. Depuis 1848, Paris est une poudrière politique. Les ouvriers, de plus en plus nombreux et politisés, rêvent d’un pouvoir décentralisé, d’un « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ajoutez à cela une défiance croissante envers l’Église, un goût prononcé pour l’autogestion et une conscience sociale en plein essor, et vous obtenez un cocktail prêt à exploser.
La Commune, proclamée le 28 mars 1871, n’est donc pas une lubie passagère. C’est l’aboutissement d’un long processus de tensions politiques, sociales, économiques et symboliques. Un acte de rupture, oui – mais aussi d’espoir.

Une révolution sociale à visage humain (et féminin)
Une fois la Commune proclamée, Paris devient un laboratoire à ciel ouvert. Plus de 80 élus – ouvriers, artisans, médecins, journalistes, artistes – se lancent dans la gestion de la capitale. Et attention, ça carbure. En 72 jours, la Commune met en place un nombre impressionnant de réformes qui, pour certaines, font encore rêver aujourd’hui.
Les loyers impayés ? Effacés. Les logements vacants ? Réquisitionnés. Les dettes ? Suspendues. La journée de travail ? Limitée à 10 heures. L’école ? Laïque. Les hôpitaux ? Aussi. Et l’Église ? Séparée de l’État. Le tout dans une logique d’égalité, de solidarité et de démocratie directe.
Mais ce qu’on oublie trop souvent, c’est le rôle central des femmes dans cette révolution. Pas de Commune sans elles. Elles soignent notamment les blessés, organisent les cantines, portent les armes parfois, et surtout réclament, haut et fort, le droit au travail, l’égalité salariale, et la reconnaissance. L’Union des femmes pour la défense de Paris devient un organe moteur, et certaines figures comme Louise Michel entrent dans la légende.
La Commune ne se contente cependant pas de critiquer l’ordre ancien, elle propose un autre modèle. Une société qui donne la priorité aux besoins du peuple, qui met la culture à portée de tous, et qui croit en l’émancipation collective. Tout cela sans président, sans ministres, sans hiérarchie rigide. Le rêve d’une République sociale et participative, en somme.
Bien sûr, tout n’est pas parfait. Il y a des tensions internes, des décisions parfois contradictoires, et le manque de coordination militaire face à la menace versaillaise pèse lourd. Mais l’expérience communarde est un moment unique de démocratie directe. Un moment où Paris n’attend pas qu’on lui donne la parole : elle la prend.

La fin brutale et la mémoire incandescente d’un rêve brisé
Ce rêve, pourtant, va se heurter de plein fouet à la réalité brutale des fusils versaillais. Thiers n’a jamais digéré l’affront du 18 mars. Pendant que les Communards réorganisent la vie parisienne, il prépare sa revanche. Et elle sera sanglante.
Du 21 au 28 mai 1871, c’est la « Semaine sanglante ». Les troupes versaillaises entrent enfin dans Paris par l’ouest et progressent rue par rue. Les Communards résistent comme ils peuvent : Belleville, la Butte-aux-Cailles, le Père-Lachaise deviennent des champs de bataille. Mais la disproportion des forces est écrasante. La répression est féroce : exécutions sommaires, arrestations massives, procès expéditifs.
Le 23 mai 1871, au plus fort de la Semaine sanglante, le Palais des Tuileries s’embrase. Ancienne résidence des rois puis des empereurs, il représente aux yeux des Communards l’écrasante continuité du pouvoir autoritaire, de l’Ancien Régime au Second Empire. Y mettre le feu, c’est vouloir brûler l’histoire pour la recommencer. Longtemps, les ruines des Tuileries resteront là, béantes au cœur de la capitale. Ce n’est qu’en 1883 que l’on rase définitivement ce qu’il en reste, enterrant ainsi avec les pierres une page tragique et flamboyante de l’histoire de France.
Le chiffre exact des victimes reste débattu, mais on estime que près de 20 000 personnes furent tuées. D’autres furent emprisonnées, déportées en Nouvelle-Calédonie, ou contraintes à l’exil. Le Mur des Fédérés, dans le cimetière du Père-Lachaise, reste le témoin silencieux de ce carnage. C’est là que furent fusillés les derniers Communards.

Ainsi, la Commune de Paris n’a duré que 72 jours, mais elle a marqué à jamais l’imaginaire politique français. Utopie pour les uns, cauchemar pour les autres, elle reste l’un des épisodes les plus riches et complexes de notre histoire.