Le pastis : boisson du Sud, fantasme de toute la France

Il évoque les cigales, les parties de pétanque et la sieste à l’ombre des platanes. Pourtant, le pastis n’est pas qu’une affaire de Marseillais moustachus. Boisson culte, légende anisée, il titille les papilles et les imaginaires. Allez, on se verse un petit jaune et on remonte le fil de son histoire.

Le pastis : héritier sulfureux de la fée verte

Avant d’être le roi de l’apéro en terrasse, le pastis est né dans l’ombre d’une autre diva alcoolisée : l’absinthe. Surnommée “la fée verte”, cette boisson adorée des poètes maudits envoûtait la France du XIXe siècle. Mais quand les soldats de 1915 se mettaient à halluciner autre chose que l’ennemi, il a fallu dire stop : l’absinthe fut bannie. La France pleura. Mais pas longtemps.

Car sitôt l’absinthe enterrée, un parfum anisé commence à flotter dans l’air de Provence. À Avignon, Jules-Félix Pernod sent le bon filon : il sort dès 1918 un “Anis Pernod”, version soft de la fée verte, sans les molécules qui font voir des licornes. Un coup de maître. La loi autorise les anisés dès 1920, à condition de ne pas dépasser 30°, puis 40° dès 1922. De quoi faire dire aux amateurs : “pastis, nous voilà !”

Mais le vrai génie marketing de l’affaire s’appelle Paul Ricard. En 1932, ce jeune Marseillais d’à peine 23 ans crée son propre breuvage avec de l’anis étoilé, de l’anis vert, et une bonne dose de réglisse. La réglisse, c’est un peu l’âme ténébreuse du pastis. Il appelle ça “pastis”, un mot provençal signifiant “mélange”, et balance un slogan imparable : “Ricard, le vrai pastis de Marseille”. Le reste, c’est de la légende embouteillée.

Interdit à nouveau en 1940 par des gens qui ne savaient pas vivre (merci Vichy), le pastis ressuscite en 1951. Pernod, flairant le coup, sort un “Pastis 51” – pas pour son degré d’alcool (qui est de 45°), mais pour l’année de son retour glorieux. Un pastis qui rend hommage à son propre retour : si ce n’est pas du storytelling, on ne sait pas ce que c’est. Depuis, comme le Champagne, le pastis a conquis toute la France et même le monde.

Paul Ricard, le roi du Pastis - César Culture G.
Paul Ricard, le roi du Pastis

Anis, eau fraîche et chimie divine : comment on le boit ?

Préparer un pastis, c’est un art, un rite, une chorégraphie millimétrée qu’il vaut mieux ne pas saboter si vous ne voulez pas vous faire bannir d’une terrasse marseillaise. Parce que, non, on ne met pas l’eau en premier. Sacrilège. Blasphème. Crime de lèse-apéro.

Voici la recette du pastis, la vraie, celle qui fait apparaître le soleil même un jour de pluie diluvienne :

  1. Verser 2 à 4 cl de pastis (selon l’humeur et le passif de la veille).
  2. Ajouter l’eau très fraîche, bien doucement.
  3. Regarder la magie opérer : le liquide limpide devient trouble, la faute à une réaction chimique entre les huiles essentielles d’anis et l’eau – un phénomène joliment nommé effet ouzo ou louche.
  4. Ajouter quelques glaçons si vous voulez vivre dangereusement (ou risquer de “casser” les arômes, selon les puristes).

La couleur est jaune paille, la texture lactée, l’effet immédiat : un vent de Méditerranée dans votre gosier. Le pastis ne se boit pas, il s’installe. Il prend le temps. Il ouvre la discussion, relâche les épaules, fait oublier que le TGV est en retard.

Côté composition, c’est une vraie recette de druide : anis étoilé, anis vert, réglisse, racines, herbes aromatiques, épices mystérieuses. Chaque maison a son secret, son dosage. Ricard mise sur la puissance réglissée. Pernod joue la carte herbacée. Et puis il y a les outsiders, les pastis artisanaux ou bio, qui prônent un mode de vie écolo tout en buvant un 45°.

Mais au fond, le pastis est une boisson de tradition. Pas besoin d’être né entre deux oliviers pour l’aimer. D’ailleurs, une légende urbaine raconte qu’un Breton aurait un jour bu un pastis sec. On ne l’a jamais revu. Ni lui, ni sa langue.

L'ingrédient central : l’anis étoilé - César Culture G.
L’ingrédient central : l’anis étoilé

De l’apéro local à l’icône nationale : le pastis superstar

Longtemps réservé aux terrasses du Sud, aux parties de cartes endiablées et aux vieux messieurs en short trop court, la boisson anisé a fini par conquérir toute la France. Même les Parisiens, ces ennemis naturels du mot “apéro”, s’y sont mis. Pas pour le goût, bien sûr. Pour le style. Pour dire qu’ils “ont passé quinze jours à Cassis” en juillet.

Mais le pastis, ce n’est pas qu’une boisson. C’est une ambiance. Un moment suspendu entre deux heures trop chaudes. Une déclaration de lenteur. Si vous entendez : “Allez, on prend juste un petit pastis et on y va”, méfiez-vous. Vous êtes là pour l’après-midi. C’est aussi un objet marketing redoutable. Pernod et Ricard, désormais alliés dans l’empire Pernod Ricard depuis 1975, ont fait du pastis un monument national. Publicités vintage, verres collectors, parasols jaunes, festivals sponsorisés… le pastis est partout.

Aujourd’hui, le pastis est à la fois patrimoine et produit de consommation. Il divise, certains le trouvent trop fort, trop anisé, trop “vieux”, mais il fascine. Car il incarne quelque chose que les Français, même stressés, pressés et connectés, n’ont pas encore totalement perdu : l’art de traîner. De discuter. De prendre une heure pour ne rien faire, sauf peut-être remplir à nouveau le verre.

L'instant apéro - César Culture G.
L’instant apéro

Le pastis, c’est l’apéro qui fait parler, rêver, parfois grimacer. Né dans le sillage de l’absinthe, porté par Ricard et Pernod, il incarne une certaine idée de la France : anisée, ensoleillée, un peu ronchonne mais toujours conviviale. Et vous, vous le prenez comment ?

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé : à consommer avec modération.

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