En Roumanie, on ne brûle pas les sorcières, bien au contraire, on les adule. Aujourd’hui, c’est d’ailleurs plus de 40 % de la population roumaine qui fait régulièrement appel à leurs services. Jeteuses de sorts, désenvoûteuses ou liseuses d’avenir, il y en a pour tous les goûts. Et si aujourd’hui la sorcellerie prend des airs de gros business, il n’est pas question de remettre en question cette tradition ancestrale.
Sorcellerie roumaine, une tradition ancestrale
En Roumanie, dans l’imaginaire collectif, une sorcière est une figure qui pratique une forme de sorcellerie animiste, drainant la force vitale de ses victimes. Comme les chamans, elles possèdent le pouvoir unique de projeter leur âme hors de leur corps. De plus, elles ne vivent pas en clans et vénèrent un dieu très ancien, Siscoi.
Selon la légende, les vrajitoare (sorcières en roumain) remontent à l’époque pré-chrétienne, liées à des divinités de la nature et à des forces cosmiques. Dans l’Antiquité, elles jouaient un rôle de guérisseuses, sages-femmes et devineresses. On leur prêtait aussi le pouvoir de communiquer avec les morts, de lancer des sorts et de neutraliser les malédictions. C’était l’époque des gentilles sorcières.

Par la suite, malheureusement pour elles, leur situation s’est quelque peu dégradée. En effet, avec l’arrivée du christianisme orthodoxe en Roumanie, leurs pratiques furent peu à peu diabolisées, jusqu’à être pointées du doigt comme alliées du diable.
Toutefois, la Roumanie n’a pas connu de chasses aux sorcières aussi violentes que dans le reste de l’Europe de l’Ouest. Elles étaient craintes, mais la population a continué à les consulter, notamment dans les villages reculés. Le conte de Baba Cloanta incarne la sorcière emblématique du folklore roumain. Elle représente cette figure de vieille femme puissante, souvent ambivalente, oscillant entre sagesse et malveillance et dite détentrice de savoirs occultes, liés aux forces sombres de la nature. Elle partage certaines caractéristiques avec d’autres figures mythologiques d’Europe de l’Est, comme Baba Yaga en Russie, tout en conservant ses propres spécificités.
Le conte de Baba Zlobina
Ce conte est probablement l’un des plus célèbres de Roumanie. Il méritait bien d’être raconté ici.

Dans les montagnes de Lika, près du village de Brlog, vivait une vieille femme que l’on appelait Baba Zlobina. La foudre avait fendu un arbre, et de cet éclat était née Baba Zlobina, qui parlait aux loup. Son visage ressemblait à l’écorce d’un chêne brûlé, et son souffle sentait la cendre. Chaque année, à la veille de l’hiver, les enfants du village racontaient le conte de Baba Zlobina pour se faire peur.
« Si tu entres dans la forêt sans offrande, elle t’enfermera dans sa marmite de cuivre. Mais si tu viens avec du pain noir et un fil rouge, elle t’ouvrira la voie vers ton destin. »
Personne ne l’avait vue depuis des années, du moins, c’est ce qu’on croyait. Mais chaque fois qu’un enfant disparaissait ou qu’un bétail naissait avec deux têtes, on murmurait : « C’est l’œuvre de la Baba. »
Un jour, une jeune fille du nom de Marija décida de chercher Baba Zlobina. Sa mère était malade, et aucun médecin ne pouvait la sauver. Elle traversa les bois avec trois choses dans son sac : du pain de seigle, une mèche de ses cheveux, et le cœur lourd mais brave.
Lorsqu’elle arriva dans la clairière, Baba l’attendait.
— Tu cherches la guérison, dit la vieille. Mais sais-tu ce qu’il faut sacrifier pour l’obtenir ?
Marija ne baissa pas les yeux.
— Mon innocence s’il le faut. Mon avenir peut-être. Mais pas ma mère.
La Baba rit, un rire sec comme une branche morte.
— Alors tu es prête.
Elle fit bouillir une potion verte qui sentait la mousse et le sang. Elle y jeta la mèche de cheveux, la fit goûter à Marija, puis souffla sur les flammes avec un souffle glacial.
La jeune fille revint au village, les yeux changés, plus clairs. Sa mère guérit, mais Marija… ne parla plus jamais de la forêt.
On raconte qu’au solstice, si l’on tend bien l’oreille, on entend sa voix se mêler à celle des loups. Car celles qui vont chez la Baba ne reviennent jamais tout à fait humaines.
La tendance des sorcières roumaines
Il n’y a pas si longtemps, sous le régime communiste, la pratique de la magie était interdite et passible de prison. Après la révolution de 1989 et la chute du dictateur Nicolae Ceaușescu, les sorcières ont commencé à offrir ouvertement leurs services de magie et de divination.
Aujourd’hui, le temps a su gommer aussi bien les contraintes que les craintes envers les sorcières. C’est même tout l’inverse : elles sont désormais considérées comme de véritables consultantes spirituelles. Elles rencontrent un tel succès que le gouvernement roumain a décidé de taxer la pratique de leurs activités. Mais ça a coincé : les clans de sorcières ont menacé les membres du gouvernement de représailles. En 2011, en guise d’avertissement, les sorcières roumaines ont lancé un sort au gouvernement en jetant de la mandragore dans le Danube.

En réalité, les maléfices de la profession sont pris très au sérieux en Roumanie. La croyance dans la magie noire reste très vivace, à tel point que le président et son entourage portent du violet pour se protéger du mauvais sort.
En 2009, Mircea Geoană, leader du Parti social-démocrate, affirmait avoir perdu les élections à cause des « énergies négatives » déployées contre lui par son rival, le président Traian Băsescu. En 2015, malgré l’avis défavorable des juristes du Sénat, le gouvernement roumain a acté que la pratique de la magie serait dorénavant imposable. Toutefois, certains sénateurs n’ont pas manqué d’exprimer leur “crainte des malédictions et leur absence de foi en Dieu”.
Les sorcières connectées
Avec l’avènement des réseaux sociaux, c’est désormais toute une nouvelle génération de jeunes femmes qui se réapproprie les codes de la sorcellerie : tarots, herboristerie, astrologie…

Aujourd’hui encore, des centaines de femmes en Roumanie vivent du métier de sorcière, particulièrement dans les communautés roms. Elles pratiquent des rituels de magie blanche ou noire, donnent des consultations d’amour, de chance ou de santé, souvent via Facebook, TikTok ou WhatsApp.