En Bretagne, il n’y a pas de débat : en cuisine ou à table, c’est du beurre salé ou rien. Demander du “beurre doux” à un Breton le plongera dans un profond désarroi, voire pire. Une telle insolence pourrait provoquer la colère des “puristes du beurre salé”. Il est vrai qu’en Bretagne, le beurre salé n’est pas seulement une question de goût. C’est une véritable histoire d’amour, voire un symbole d’indépendance. Aujourd’hui, bien qu’une majorité de Français préfèrent le beurre doux, la popularité du beurre salé remonte en flèche. Après tout, l’histoire revient sur son cours, car il fut un temps où le beurre salé était un grand luxe.
Le beurre salé, une affaire d’État
Au Moyen Âge, l’ensemble des Français produisent leur beurre avec du sel. Les réfrigérateurs se font désirer, le sel apparaît comme la meilleure méthode pour conserver les aliments. Cependant, les années 1330 marquent un véritable tournant historique pour la France, un tournant qui va changer le destin du beurre salé. Oui, on met les mots. En 1328, le roi de France Charles IV laisse un trône vide, sans héritier mâle direct. La couronne revient alors au Français Philippe VI de Valois. Mais c’était sans compter sur les revendications du roi d’Angleterre, Édouard III, qui fait valoir ses liens du sang avec la couronne française. En 1337, Édouard III se proclame finalement roi de France.

C’est le début d’une guerre entre la France et l’Angleterre, guerre qui deviendra la guerre de Cent Ans. Les défaites françaises se multiplient. En 1347, après onze mois de siège, les Anglais s’emparent de la ville de Calais. Le royaume de France subit alors une grave crise identitaire, aggravée par une crise économique due aux mauvaises récoltes et à l’inflation des prix. Dans le même temps, la peste noire débarque à Marseille et se propage en France, dépeuplant et affaiblissant davantage le pays. Le roi Philippe VI se voit contraint de prendre des mesures drastiques. Pour reprendre l’avantage sur l’ennemi, il faut plus d’argent. Beaucoup plus d’argent. La guerre, ça coûte cher. La gabelle, un impôt sur le sel, apparaît alors comme le moyen le plus efficace de renflouer rapidement les caisses du royaume.
La Gabelle, l’impôt sur sel et la contrebande
L’impôt sur le sel est augmenté de manière assez sournoise. D’abord généralisé à l’ensemble du royaume, l’impôt oblige ensuite les sujets à acheter une quantité minimale de sel à l’État à un prix fixé par l’État, souvent bien au-dessus de la valeur marchande. Le système prend le nom de “sel de devoir”. Le sel devient alors une denrée rare. Durant tout le Moyen Âge, la gabelle sera considérée comme l’impôt le plus injuste. Elle sera la cause de nombreuses révoltes dans le royaume. Seule la Bretagne se préserve de la gabelle, car à l’époque, le duché de Bretagne est encore indépendant et n’est pas sous l’autorité du roi. Au fil des années, la production de sel se développe en Bretagne et, avec elle, tout un réseau de contrebande.


Après la production, les faux-sauniers, c’est-à-dire les dealers de sel, camouflent le sel dans du pain ou des petites poches dissimulées dans des vêtements pour lui faire passer la frontière bretonne. Le sel est ensuite revendu moins cher aux régions voisines, leur permettant ainsi d’échapper à la maudite gabelle. Étrangement, cela déplaît au roi en place, Louis XV. Les sanctions fusent : amendes, marquage au fer rouge… Cela peut aller très loin. La couronne ira jusqu’à exiler les contrebandiers en Nouvelle-France. Certains s’y installeront d’ailleurs définitivement, devenant ainsi les pionniers du futur Québec. En 1866, l’empereur Napoléon III décide de récompenser toute personne qui trouverait un produit pour remplacer le beurre, lequel devait être moins cher et bien se conserver. C’est ainsi que la margarine fut créée par un pharmacien français, Hippolyte Mège-Mouriès.
La France abolit la gabelle en 1790, pendant la Révolution française. Les révolutionnaires considèrent sa suppression comme un acte symbolique, marquant la fin de plusieurs siècles d’une fiscalité impopulaire et centralisée. En Bretagne, le beurre salé devient un symbole d’indépendance et d’abondance, faisant du beurre salé une véritable institution.