Nicolas Fouquet : La fête de trop

Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à deux heures du matin, il n’était plus rien”. Voilà comment Voltaire qualifiait Nicolas Fouquet dans son ouvrage Le Siècle de Louis XIV. Surintendant des finances sous Louis XIV, Nicolas Fouquet était un personnage central dans l’organisation politique de l’époque. Riche, puissant, raffiné, il est l’un des hommes les plus influents du royaume. Le 17 août 1661, Fouquet s’apprête à organiser une fête grandiose pour l’inauguration de son château de Vaux-Le-Vicomte. La noblesse de tout Paris se rend à cette fête, ainsi que bons nombres des plus grands esprits de l’époque. Mais il y a surtout un invité d’honneur à cette soirée. Louis XIV en personne. Malheureusement pour Fouquet, à trop vouloir s’approcher du soleil, on finit par se brûler les ailes..

Nicolas Fouquet : Un homme raffiné et ambitieux

Né en 1615 à Paris, Nicolas Fouquet est un personnage emblématique de l’Ancien Régime. Issu d’une famille de la haute bourgeoisie, il se distingue très tôt par son intelligence et assume très vite ses ambitions. Après des études de droit, il entre dans la magistrature et gravit rapidement les échelons. 

En 1648, une période de trouble éclate dans le royaume de France. Louis XIV, âgé de seulement 10 ans, ne règne pas encore. Sa mère, Anne d’Autriche, assure alors la régence et gouverne avec le cardinal Mazarin.. Durant cette période de trouble que l’on a appelé la Fronde, la royauté doit faire face à des révoltes de la noblesse dans tout le royaume. En crise politiquement à cause de la régence, mais aussi économiquement à cause de la guerre de Trente Ans, cette période de Fronde marque un affaiblissement du pouvoir royal. 

Bataille du faubourg Saint-Antoine en 1652, peinture anonyme, château de Versaille.
Bataille du faubourg Saint-Antoine en 1652, peinture anonyme.

Pourtant, en 1650, Nicolas Fouquet décide habilement de se rallier au cardinal Mazarin alors dans la tourmente. Reconnaissant sa fidélité constante, son dévouement et son talent, Mazarin le nomme surintendant des finances en 1653. Chargé d’ordonner les dépenses de l’Etat, ce poste crucial place Nicolas Fouquet au sommet de la hiérarchie politique. 

Portrait du cardinal Mazarin, Pierre Mignard
Portrait du cardinal Mazarin, Pierre Mignard

Et ce rôle va lui aller à merveille ! Grâce à ses compétences de gestionnaire et son réseau d’alliés puissants, Fouquet parvient à stabiliser les finances du royaume en quelques années. Il en profite également pour se bâtir une fortune colossale qui fait de lui l’un des hommes les plus riches de France. Mais cette réussite, aussi bien politique qu’économique, amène autant d’admirateurs que de jaloux. C’est par exemple le cas du jeune roi Louis XIV, déjà envieux de se bâtir un pouvoir absolu.

Quo non ascendet : Jusqu’où ne montera-t-il pas ?

Avec cette réussite politique, Nicolas Fouquet sut se rendre indispensable au roi. Le 9 mars 1661, le cardinal Mazarin meurt de la goutte. Fort de sa popularité, Fouquet s’attend à lui succéder au poste de principal ministre d’État, sorte de Premier ministre de l’époque. Au lieu de ça, Louis XIV, alors âgé de 22 ans, prend la décision d’abolir ce poste. Le roi préfère prendre le contrôle du gouvernement lui-même. 

Les dernières heures du cardinal Mazarin, par Paul Delaroche
Les dernières heures du cardinal Mazarin, par Paul Delaroche

Cette décision fait comprendre au surintendant des finances qu’il n’a plus les bonnes grâces du roi. En effet, sur son lit de mort, le cardinal Mazarin avait conseillé à Louis XIV de se méfier de Nicolas Fouquet, le jugeant trop ambitieux. Il propose alors au roi de le remplacer par Jean-Baptiste Colbert avec une phrase restée célèbre : “Sire, je dois tout à votre Majesté, mais je m’acquitte de ma dette en lui présentant Colbert”. 

Cet austère mais ambitieux personnage s’occupait de la gestion de la fortune de Mazarin avec Fouquet. Les deux hommes étaient donc rivaux. Dès 1659, Colbert rédigea un mémoire sur les prétendues malversations du surintendant des finances, pointant que “moins de 50 % des impôts collectés arrivent jusqu’au roi”. Colbert mit dans la tête du roi qu’il fallait se méfier de Nicolas Fouquet et de sa fortune, n’hésitant pas à l’accuser de complot contre lui.

Portrait de Jean-Baptiste Colbert, par Claude Lefèbvre
Portrait de Jean-Baptiste Colbert, par Claude Lefèbvre

Face à ces éléments, et à une époque où l’honneur avait une importance capitale, Nicolas Fouquet comprit qu’il devait regagner ce qu’il avait perdu : la considération du roi. Et pour cela, il se mit en tête d’organiser la plus grande fête que le royaume n’ait jamais vue. Et cette fête servira d’hommage au roi, dont il sera l’invité d’honneur. 

La réception à Vaux-le-Vicomte

C’est donc le 17 août 1661 que se tient la fête au château de Vaux-le-Vicomte. Cette réception devait également servir d’inauguration au château. En construction depuis 1653, Vaux-le-Vicomte est un chef-d’œuvre de l’architecture classique. Fouquet s’était entouré des plus grands artisans de l’époque pour bâtir ce château : le premier architecte du roi, Louis Le Vau, ainsi que Charles Le Brun pour la peinture.

Vaux-le-Vicomte, château de Nicolas Fouquet.
Vaux-le-Vicomte, château de Nicolas Fouquet.

Fouquet avait l’habitude d’organiser de grandes fêtes dans lesquelles il impressionnait ses invités. Mais cette fois, il ne s’agit pas de n’importe quels invités. La noblesse de tout Paris s’y rend, ainsi que bons nombres des plus grands esprits de l’époque. Parmi les invités notoires, on retrouve Molière, Jean-Baptiste Colbert, Jean de la Fontaine, Madame de Sévigné, et bien d’autres encore. Mais il y a surtout un invité d’honneur à cette soirée. Louis XIV en personne, accompagné de sa cour de 600 courtisans. 

Et la fête fut grandiose comme prévue. Molière avait écrit une pièce spécialement pour l’occasion, dans laquelle il jouerait lui-même. Cette comédie-ballet, appelée Les Fâcheux, est accompagnée par 24 violons dirigés par Jean-Baptiste Lully en personne. S’ensuivit un somptueux banquet divisé en sept services. Au menu, des plats venus d’Orient, du faisan, des cailles, des perdrix.. Le tout servi dans de la vaisselle en or massif pour les invités d’honneur. Un orchestre joue même en hommage au roi pour accompagner le repas. 

Après le banquet se tient une promenade dans les jardins autour du château. Conçus par André Le Nôtre, dans un style dit “à la française” avec des fontaines et des jets d’eau, les jardins accueillent un bouquet final grandiose. Un feu d’artifice somptueux illumine le ciel au-dessus du château. La fête s’étendit jusqu’à tard dans la nuit. 

La fête de trop

Subjugués par tant d’apparat, les invités s’accordèrent tous pour dire que cette réception était l’une des plus belles qu’ils n’aient jamais vue. En confiance, Nicolas Fouquet se permit même d’inviter le roi à rester dormir au château, sans prendre conscience de l’affront qu’il venait de commettre. Car oui, face à tant de faste et de luxe élevant Fouquet à son apogée, Louis XIV se sentit humilié et éclipsé. Sujet à des difficultés financières, le roi est alors obligé de siéger au château de Fontainebleau, plus petit et moins luxueux que celui de Vaux-le-Vicomte. 

Mais nul n’est au-dessus du roi. Louis XIV ne pouvait souffrir d’être comparé à qui que ce soit. Et encore moins à son propre surintendant des finances. Quand on veut devenir le Roi Soleil, on ne peut supporter l’ombre. Après avoir refusé l’invitation de Fouquet, sur le chemin du retour vers Fontainebleau, Louis XIV aurait déclaré à sa mère Anne d’Autriche : “Il faudrait faire rendre gorge à tous ces gens !

En organisant cette réception, Nicolas Fouquet commit une grave erreur sur l’échiquier du pouvoir. Il se fit plus roi que le roi. Le lendemain, le roi écrit deux choses dans son journal. Première chose : construire un château plus grand en taille et en prestige que celui de Vaux-le-Vicomte. Deuxième chose : arrêter Nicolas Fouquet. 

Quelques jours après la fête, le 5 septembre 1661, Fouquet est arrêté à Nantes, sur ordre personnel de Louis XIV qui fête ses 23 ans ce jour-là. D’Artagnan, le chef mousquetaire du roi, s’est déplacé en personne pour venir le chercher et l’emprisonner. 

Arrestation de Nicolas Fouquet surintendant des finances, gravure par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux
Arrestation de Nicolas Fouquet surintendant des finances, gravure par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux

La chute de Nicolas Fouquet

Emprisonné, on accuse Nicolas Fouquet de malversations et de détourner l’argent du royaume pour s’enrichir personnellement. Le procès dure trois longues années, durant lesquelles il est enfermé dans la prison de la Bastille. Mais ce procès est en réalité une parodie de justice. Les charges retenues contre l’ancien surintendant des finances sont largement exagérées. Les juges subissent la pression de Colbert, et donc à travers lui, celle du roi. 

La Chambre de Justice pour le procès de Nicolas Fouquet.
La Chambre de Justice pour le procès de Nicolas Fouquet.

En vérité, une très grande partie de la fortune de Fouquet lui fut versée avec l’accord du roi. Parfois même en son nom. En fait, derrière cette arrestation se cache en réalité un avertissement à tous ceux qui pourraient tenter de défier son autorité. Depuis la mort du cardinal Mazarin, Louis XIV n’est pas pris au sérieux et a besoin de renforcer son pouvoir et d’affirmer son contrôle absolu sur le royaume

À l’issue du procès, Nicolas Fouquet est reconnu coupable et est condamné au bannissement du royaume. Tous ses biens sont également confisqués. Mais Louis XIV considère ce jugement comme trop clément. Pour la première fois dans l’histoire du royaume de France, le roi use alors de son droit de grâce pour aggraver la peine. Le roi en personne condamne donc Nicolas Fouquet à l’emprisonnement à vie, dans la forteresse de Pignerol. Son chemin croise celui du masque de fer, à moins qu’il s’agisse d’une seule et même personne… Il y meurt en 1680, sans jamais en être ressorti. 

En fin de compte, la fête de Vaux-le-Vicomte, destinée à redonner gloire à Nicolas Fouquet, scelle son destin tragique. La disgrâce de Fouquet marque surtout le début de l’ère du Roi Soleil, où Louis XIV exerce le pouvoir sans partage. Quelques jours seulement après l’arrestation, le roi fait par exemple supprimé le rôle de surintendant des finances, qu’il gérera lui-même. 

Après le procès, Louis XIV mit Vaux-le-Vicomte sous scellés, et récupéra les tableaux, statues et tapisseries qui ornaient le château. Il s’entoura en suite des mêmes artistes que Fouquet pour édifier le plus beau et le plus grand palais d’Europe : Versailles

Le château de Versailles
Le château de Versailles

Ainsi, l’histoire de Nicolas Fouquet nous rappelle la fragilité des positions de pouvoir et les intrigues impitoyables qui régissent les cours royales. Derrière le faste et la grandeur se cachent souvent des rivalités et des jalousies destructrices, capables de renverser les destins les plus brillants. Un événement qui fait comprendre à tous que, sous la monarchie absolue, on ne doit jamais surpasser le roi. À trop vouloir s’approcher du (roi)soleil, on finit bien par se brûler les ailes.

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