Dans une période où la Géorgie traverse une crise politique remettant en question son intégration dans l’Union européenne, ses atouts en matière de rayonnement culturel sur la scène internationale prennent une importance toute particulière. L’un d’eux, et non des moindres : le vin. Avec plus de 8 000 ans de tradition viticole, la Géorgie est aujourd’hui considérée comme le pays ayant inventé le vin. De ses premières exportations sous Staline à aujourd’hui, le vin géorgien continue de faire rayonner le pays à l’international.
Vin géorgien : 8000 ans d’Histoire
L’histoire du vin géorgien remonte à environ 8 000 ans, faisant de la Géorgie l’un des berceaux de la viticulture. En effet, les découvertes archéologiques montrent que les habitants y pratiquaient déjà la vinification à l’époque néolithique, faisant du vin géorgien l’un des plus anciens au monde. Il est même devenu un symbole de certaines périodes historiques, comme la conversion de la Géorgie au christianisme. Selon la légende, un jour, Sainte Nino, figure religieuse géorgienne, fait un rêve. Elle y voit la Vierge Marie lui demandant de se rendre en Géorgie pour prêcher le christianisme. Pour cela, elle lui aurait donné une croix tissée dans la vigne. Fidèle à cette mission, Nino se rend à Mtskheta, l’ancienne capitale de la Géorgie, et commence à prêcher. Si de nombreux habitants se convertissent rapidement, le roi de l’Ibérie antique, Mirian, refuse d’accepter le christianisme.
Cependant, quelque temps après, alors qu’il chasse, la foudre frappe le roi et le rend aveugle. Désespéré, il promet d’accepter le christianisme si Nino lui rend la vue. Celle-ci prie, et le roi recouvre miraculeusement la vue. En l’an 337, il proclame le christianisme religion officielle de la Géorgie. Dans le même temps, Sainte Nino fait de la vigne un symbole chrétien fort dans le pays, en associant la croix en bois de vigne à l’évangélisation de la population. Forte de cette ancienneté et de cette symbolique, la Géorgie intègre le vin comme bien plus qu’une simple boisson. Il devient un pilier de sa culture et de ses traditions. Lors des supra, ces banquets traditionnels qui célèbrent l’hospitalité géorgienne, les convives portent des toasts à répétition. Ces multiples levées de coudent rythment ces longs repas où la résistance aux vins aident à tenir le coup.
Staline, ambassadeur du vin géorgien
C’est au début du 20ᵉ siècle que le vin géorgien commence à conquérir les tables européennes. Sous l’ère de l’URSS, Staline joue un rôle majeur dans son exportation. Fervent amateur de vin géorgien, il associe même un cru particulier à son nom : le Khvanchkara, surnommé “le vin de Staline”. Ce vin sert lors de dîners officiels au Kremlin, notamment pendant la célèbre conférence de Yalta. En février 1945, cette conférence se tient en Crimée et réunit les trois grands dirigeants alliés de la Seconde Guerre mondiale : Winston Churchill (Royaume-Uni), Franklin D. Roosevelt (États-Unis) et Joseph Staline (URSS). Elle devient cruciale pour préparer l’après-guerre en Europe, alors que la défaite de l’Allemagne nazie est imminente..
Bien que les accords signés reflétaient des tensions latentes entre les Alliés, annonciatrices de la Guerre froide, l’atmosphère durant les repas était festive. La conférence de Yalta fut notamment marquée par des banquets bien arrosés, où vodka, cigares et le fameux Khvanchkara coulaient à flot. Staline, “hôte splendide” selon certaines sources, rythmait les repas en portant de longs toasts, fidèle à la tradition géorgienne. Car oui, Staline était géorgien, et cette identité transparaissait jusque dans ses choix gastronomiques et son sens de l’hospitalité.
Géorgie : petit pays, grands vins
Cependant, la popularité du vin géorgien dépasse largement son association avec Staline. La Géorgie compte plus de 525 cépages autochtones, ce qui représente environ un sixième des cépages existants dans le monde. Parmi ces variétés, une centaine sont encore cultivées aujourd’hui à des fins commerciales. Cependant, les vignerons conservent de nombreuses autres variétés dans des collections pour préserver la biodiversité viticole du pays. Après des périodes difficiles marquées par l’embargo russe (2006-2013) et les défis économiques post-soviétiques, l’exportation du vin géorgien en Europe connaît une croissance significative ces dernières années. Grâce à ses méthodes de vinification uniques, la Géorgie est devenue une destination incontournable pour les amateurs de vin.
La méthode du kvevri, considérée comme l’ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui le “vin nature”, devient un symbole de l’héritage viticole géorgien. En 2013, l’UNESCO l’inscrit au patrimoine culturel immatériel. Dans cette méthode, le vin fermente dans de grandes jarres en argile appelées kvevris (ou qvevris), enterrées sous terre, et sert à la fois pour la fermentation et le stockage. Ces techniques, toujours utilisées aujourd’hui, confèrent au vin un goût distinctif et authentique. Depuis quelques années, le vin nature, qui partage des similitudes avec les pratiques traditionnelles géorgiennes, gagne en popularité en Europe. Sans sulfites, il séduit par son goût unique et attire parfois l’attention pour un autre atout : il est considéré comme plus doux, il limite les risques de gueule de bois.
Bien que la qualité soit reconnue, le vin géorgien reste encore méconnu du grand public. En 2023, la Géorgie a exporté environ 90 millions de bouteilles de vin vers plus de 60 pays. Bien que la Russie demeure son principal marché, la part des exportations vers l’Europe ne cesse d’augmenter. Des pays comme l’Allemagne, la Pologne, la Lituanie et le Royaume-Uni figurent parmi les principaux consommateurs en Europe occidentale et orientale. Ce rayonnement culturel apparaît comme une clé d’émancipation non négligeable face aux velléités d’influence pro-russe.