Les Héraia : Les Jeux olympiques féminins de l’Antiquité

Il aura fallu attendre les Jeux olympiques de 1900 pour que les femmes aient le droit de participer aux JO modernes. À l’époque, 22 femmes sur 997 athlètes prennent part à l’olympiade qui se déroule à Paris. Pourtant, durant l’Antiquité, les femmes avaient leurs propres Jeux olympiques. Tenues à l’écart de celles des hommes, ces épreuves appelées les Héraia, en l’honneur de la déesse Héra, se tenaient sur le mont Olympe. Derrière des origines mystiques, ces jeux héréens nous renseignent sur les conditions de vie et la place réservées aux femmes dans la Grèce antique. 

Avant les Héraia: le cas particulier de Sparte

Dans la Grèce antique, les femmes citoyennes n’avaient pas le droit de participer aux Jeux. Depuis 776 av. J.-C., la tradition voulait qu’elles en soient exclues. De manière générale, la société grecque ne donnait pas d’autres statuts aux femmes que ceux de fille, mère, ou épouse. L’éducation d es filles était donc négligée. Elles étaient également exclues des enceintes sacrées, et donc de toutes compétitions athlétiques. 

À Sparte, la situation est un peu différente. Dans le but de créer de futures mères saines et fortes qui pourront donc porter des enfants robustes et vigoureux, les femmes reçoivent une formation athlétique. La même que celle des hommes. Si cette tradition est vue comme très bizarre par le reste des cités grecques, attirant même des moqueries de la part des Athéniens, à Sparte il s’agit de quelque chose de tout à fait normal et logique.

Statue en bronze d’une femme spartiate entrain de courir, 520-500 av. J.-C.
Statue en bronze d’une femme spartiate en train de courir, 520 – 500 av. J.-C.

Course à pied, lutte, lancé de javelot ou de disque, épreuve de force, équitation.. Cet entraînement était donc aussi complet que celui des Spartiates masculins. Tout cela débouchait même sur des concours, ou des sortes de jeux internes à la cité de Sparte. Elles participaient par exemple aux Gymnopédies, un festival de danse et de démonstration physique. 

Aux origines des Héraia: le mythe de Hippodamie

Mise à part cette exception spartiate, les femmes n’avaient pas accès aux activités sportives ou physiques. Mais les choses changent dans le courant du VIe siècle av. J.-C. Les Héraia, ou jeux héréens, apparaissent et deviennent la première manifestation sportive réservée aux femmes. 

Selon la tradition, l’origine des ces jeux est mythologique. Hippodamie est la fille d’Œnomaos, roi de la cité de Pise, dans le Péloponnèse, et fils d’Arès, dieu de la guerre. Œnomaos avait promis la main de sa fille à celui qui pourrait le battre dans une course de chars. Celui qui l’emportait épouserait sa fille. Celui qui perdait devait mourir. A chaque fois, la course se terminait par la mort du potentiel gendre qui avait osé se présenter devant Œnomaos. Mais le père de Hippodamie est un petit malin puisqu’il savait qu’il ne perdrait pas. En effet, il disposait de chevaux divins que son père Arès lui avait légué. 

Pourtant, un jour se présenta le jeune et bel athlète Pélops, fils du célèbre et redoutable Tantale, le mortel ami des dieux. Hippodamie, pour la première fois amoureuse, se révolte contre son père. Elle fait donc saboter une roue de son char avant la course. Œnomaos meurt durant la course, traîné par ses chevaux, laissant toute liberté à Hippodamie et Pélops de se marier. Hippodamie tient alors à honorer Héra, protectrice des femmes, et déesse du mariage et de la fécondité. Elle instaure donc des jeux, proche de la cité d’Olympie, et nomme seize matrones chargées de l’organisation. Ainsi naissent les Héraia

Bas-relief représentant Pélops (premier plan) et Hippodamie, héroïne à l'origines des Héraia (second plan) pendant la course de char.
Bas-relief représentant Pélops (premier plan) et Hippodamie (second plan) pendant la course de char.

Héra et les épreuves sportives

Organisées tous les quatre ans en septembre, deux semaines après les Jeux olympiques, les Héraia étaient donc des compétitions féminines consacrées à la déesse Héra. Présente à Olympie dans un temple dédié, la déesse Héra recevait les honneurs des seize matrones, tout comme Hippodamie, héroïne de la cité de Pise. Divisées en deux chœurs, les matrones se chargeaient de tisser un vêtement, une tunique féminine appelée péplos, destiné à Héra. 

Les ruines du temple de Héra à Olympie
Les ruines du temple de Héra à Olympie

Les épreuves regroupaient des femmes non mariées, réparties en trois catégories d’âge. Ces femmes s’affrontaient dans le même stade que les hommes, mais sur une distance réduite. Pausanias, géographe, voyageur et auteur grec du IIe siècle, a rédigé une description de ces athlètes. Les cheveux détachés, vêtues d’une tunique qui laisse le sein droit à l’air libre et qui s’arrête au-dessus des genoux. Une grande différence avec les hommes pour qui la nudité est traditionnellement imposée pour la pratique sportive. Pas très étonnant dans une société qui vénère les phallus…

Dans ses écrits, Pausanias mentionne également la récompense réservée aux gagnantes : Une couronne d’olivier sauvage, comme les hommes aux Jeux olympiques, et du lait ou une portion de la vache sacrifiée en l’honneur de Héra. Les gagnantes avaient également le droit de se faire représenter sous forme de statue ou d’effigie. 

Statue de jeune fille victorieuse, vêtue de la tunique traditionnelle portée pendant les Héraia.
Statue de jeune fille victorieuse, vêtue de la tunique traditionnelle.

Ces jeux héréens, organisés tous les quatre ans à Olympie, concernaient en théorie toute la Grèce. En théorie, car dans les faits, ces jeux concernaient surtout les cités de la région. Mais ces Héraia ont été un moyen de promouvoir le sport féminin dans la Grèce antique, au point d’avoir certainement influencé les jeux isthmiques, ou les jeux néméens à autoriser, plus tard, la participation des femmes.

Derrière le sport, un rituel de mariage ?

Derrière ces jeux, se cachent aussi une autre signification que la simple volonté d’autoriser des femmes à sprinter dans un stade. Pour beaucoup d’historiens actuels, il faut voir derrière la tenue de ces jeux un rituel de mariage caché. Les athlètes sont des jeunes femmes non mariées. Les organisatrices, elles, sont des matrones, plus âgées, mères et déjà mariées. 

A l’origine de ces jeux, on retrouve le mythe de Hippodamie, interdite de mariage par son père. Elle choisit de dédier les jeux en l’honneur d’Héra, protectrice des femmes, mais aussi et surtout déesse du mariage et de la fécondité ! Les Jeux olympiques qui se tiennent deux semaines avant, et qui sont donc réservés aux hommes, sont eux consacrés à Zeus. Zeus et Héra formant le couple souverain qui règne sur les dieux. 

Notons également que l’on autorisait les jeunes filles non mariées à regarder les épreuves masculines des Jeux olympiques. Les jeunes hommes pouvaient également assister aux épreuves féminines lors des Héraia deux semaines plus tard. Tous ces éléments tendent à démontrer le caractère matrimonial de ces événements sportifs. Même si on ne doit pas négliger l’attachement à la compétition, ces événements servaient en partie à créer des rencontres entre des athlètes masculins et féminins, dans le but de les marier. Le tout, sous la protection divine de Zeus et Héra. On est bien loin de Tinder… 

Les Héraia, bien plus qu’une simple compétition athlétique, révèlent une facette intrigante de la société grecque antique. Une facette où sport et rituels se mêlent pour définir le rôle des femmes. Ces jeux, au-delà d’offrir une rare opportunité aux femmes de participer à des activités physiques, servaient également de rituel de mariage implicite. Symbolisant le passage des jeunes filles à leur future vie de femmes mariées et de mères, les Héraia mettent la lumière sur le lien entre le sport et le divin. Comme quoi, la messe tenue avant l’ouverture des JO de Paris en 1924 n’est pas si étonnante…

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