“Habitué que j’avais été à gagner ma vie en plaquant des accords, je devais donc la sauver maintenant de la même manière !” (Szpilman, 1946). A travers ses mots, Wladyslaw Szpilman, tristement célèbre pianiste juif polonais, illustre le rôle vital que jouait la musique dans les rouages de la machine de mort qu’était l’Holocauste. Dans les camps nazis, à mi-chemin entre, d’une part, résistance et survie, et d’autre part, humiliation et domination, la musique résonnait partout, tout le temps.
La musique, maquiller les horreurs des camps nazis
La musique rythmait la vie dans les camps : elle synchronisait les pas, elle masquait les cris. Elle était systématique et intrusive, synonyme de châtiment et de contrainte, mais surtout d’oubli : les répertoires légers diffusés constamment permettaient presque de dissimuler l’horreur des alentours.Dans les camps, les orchestres étaient créés à l’initiative du régime nazi, qui faisait des musiciens des outils à part entière du processus disciplinaire. Recrutés dès l’arrivée dans les camps et vêtus différemment des autres détenus, ces formations musicales devaient jouer pendant les départs et les retours des travaux forcés, pour accompagner les traitements cruels et les punitions publiques, voire même, aux alentours des chambres à gaz.
Faire partie de ces orchestres était presque un passeport pour la vie. Néanmoins, les dédommagements perçus n’enlevaient rien à la sensation de culpabilité qui rongeait les musiciens. Pour répondre à cette réalité absurde, certains utilisaient leur talent de manière détournée.
Jouer pour survivre
Tolérés par les responsables de blocs ou totalement clandestins, les musiciens se sont peu à peu réappropriés leur art, qui a joué un rôle salvateur de survie et de résistance. Les détenus ne se privaient pas de dénoncer leurs conditions de vie et leur brutalité, à travers des chants politiques, patriotiques ou religieux, ou encore, des chants parodiques.
De véritables actes de résistance avaient lieu dans l’échange de partitions ou l’apprentissage de paroles interdites aux détours des baraquements ou des latrines, jamais approchées par les gardes en raison de l’odeur. La musique aidait à combattre la peur, à créer un sentiment de camaraderie et à ne pas oublier ses traditions, son histoire, son identité.
Les voix que réunissaient ces chants clandestins résonnent encore aujourd’hui, par exemple à travers le Chant des Déportés (ou le Chant des Marais), devenu un outil mémoriel et un chant militaire.Moyen de survie pour certains, instrument de terreur pour d’autres, la musique a accompagné les espoirs et les derniers souffles de milliers de prisonniers du régime nazi. Paradoxalement mise au service d’un génocide, la musique a également témoigné d’une résilience humaine poussée à son paroxysme face à une période d’horreur absolue.