Le match de la réunification: Quand Berlin affrontait Berlin

Le 27 janvier 1990, quelques mois après la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne, un événement majeur de l’histoire sportive et footballistique allemande eut lieu. Berlin rencontre Berlin. Ce match de la réunification entre le Hertha et l’Union, deux clubs de la capitale allemande, dépasse les frontières du football pour devenir un symbole puissant de la réconciliation d’une ville longtemps divisée. Plongeons donc dans l’histoire de ce match pas comme les autres, reflet d’une amitié à l’ombre du mur !

Un peu de contexte : Berlin divisée

Avant de revenir sur ce match de la réunification, il est important de remonter un peu le temps pour bien comprendre le contexte historique. Vous le savez certainement, après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est partagée entre les deux blocs. À l’Est, la République Démocratique allemande (RDA) s’intègre au bloc soviétique, tandis qu’à l’Ouest, la République fédérale d’Allemagne (RFA) s’intègre au bloc occidental. 

C’est à partir de 1949, et de l’enjeu autour du contrôle de Berlin, que naît la division entre les deux blocs. La ville, située en RDA, est intégralement revendiquée par les Soviétiques. Problème, les Occidentaux refusent de quitter la partie Ouest de la ville qu’ils occupent depuis la fin de la guerre.

RFA (Ouest) et RDA (Est) avec la partition de Berlin. 
RFA (Ouest) et RDA (Est) avec la partition de Berlin

En 1958, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev lance un ultimatum aux Occidentaux pour régler la question du statut de la ville. La Crise de Berlin éclate. Après plusieurs années de négociations extrêmement tendues qui se soldent par un échec, la ville se coupe en deux en 1961 lorsque les Soviétiques décident la construction du célèbre mur.

Par la suite, Berlin deviendra la vitrine promotionnelle des modèles des deux blocs. Divisée géographiquement, la capitale allemande est surtout divisée entre deux modèles politiques opposés, entre communisme et capitalisme. Cette opposition va alors s’insérer dans toutes les composantes de la société berlinoise, que ce soit d’un point de vue économique, politique, culturel, et même sportif.

Le football berlinois avant la réunification

C’est donc dans ce contexte très particulier que le football moderne va se développer en Allemagne. Plus largement, le sport joue un rôle important dans l’opposition entre RFA et RDA, ou entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Dès 1954, le ballon rond s’impose comme un vecteur important dans la lutte entre les deux Allemagne, puisque la RFA remporte sa première Coupe du monde lors du miracle de Berne

Horst Eckel portés en triomphe après la finale de la Coupe du Monde 1954.
Horst Eckel porté en triomphe après la finale de la Coupe du Monde 1954.

Ce succès retentissant aura un impact dépassant largement le cadre sportif. En gagnant la Coupe du Monde, l’Allemagne symbolise son retour dans le concert des nations. Et cela, 9 ans à peine après la fin de la guerre. De plus, cette victoire redonne un sentiment de fierté et d’unité aux Allemands de l’Ouest.

Jalouse de ce succès, la RDA investit dans le sport, surtout le football, pour concurrencer l’Ouest. La république communiste lance de grands projets pour reconquérir sa population et prouver la supériorité de son modèle politique. 

Dès 1953, la RFA crée le SC Dynamo Berlin, un club omnisports comprenant une section football. À la tête de cette association, on retrouve Erich Mielke, chef de la Stasi, la police politique communiste. Le football est donc bien politique !

Erich Mielke (au centre), en tribune présidentielle lors d’un match du SC Dynamo Berlin.
Erich Mielke (au centre), en tribune présidentielle lors d’un match du SC Dynamo Berlin.

Malgré cela, c’est un autre club berlinois qui domine le football en RDA. En effet, le Vorwärts Berlin, club de l’armée, remporte cinq titres de champions entre 1958 et 1966. En 1966 justement, face aux résultats décevants de la RDA et du Dynamo Berlin, Erich Mielke lance une réorganisation du football en Allemagne de l’Est. L’objectif est simple : dominer le football allemand. 

Les réformes en RDA et la (re)naissance de l’Union Berlin

Avec ces grandes réformes, un nouveau championnat Est-Allemand voit le jour : la DDR-Oberliga. Une dizaine de nouveaux clubs font aussi leur apparition. Le Dynamo Berlin devient alors le “Berliner Fussball Club Dynamo”, communément abrégé en BFC Dynamo. Mais en raison de son lien particulier avec la Stasi, le club ne jouit pas d’une grande popularité auprès des Berlinois.

Toujours dans le cadre de cette réorganisation du football en RDA, un autre club berlinois fait son apparition : le 1. FC Union Berlin. Ce nouveau club est en réalité l’héritier d’un ancien club, l’Union 06 Oberschöneweide, du nom d’un des quartiers industriels de Berlin. Lors de la partition de l’Allemagne en 1949, les joueurs de l’Union passèrent à Berlin-Ouest pour fonder un nouveau club. L’Union sombre donc peu à peu avant d’être restructuré et renommé par la RDA.

Et très vite, l’Union va performer ! En 1968, deux ans à peine après sa création, le club remporte la coupe d’Allemagne de l’Est. Mais cette réussite ne plaira pas à tout le monde. Les dirigeants de la RDA voient dans l’Union un concurrent berlinois au club de la Stasi, le BFC Dynamo.

Les joueurs de l’Union Berlin posant avec la coupe d’Allemagne de l’Est remportée en 1968.
Les joueurs de l’Union Berlin posant avec la coupe d’Allemagne de l’Est remportée en 1968.

Une rivalité sportive autant qu’idéologique, qui va amener les dirigeants de la RDA à favoriser le BFC. Les meilleurs joueurs de l’Union seront, par exemple, transférés dans le club de la Stasi de manière arbitraire.

Pendant ce temps, à l’ouest: le Hertha Berlin

De l’autre côté du mur aussi, on aime le football. Si Berlin-Ouest prend des apparences d’îlots en plein cœur de la RDA, il est difficile d’y construire un club fort à cause de la distance avec le reste de l’Allemagne de l’Ouest. Pourtant, un club berlinois se dégage : le Hertha BSC. 

Fondé en 1892, le Hertha BSC se voit entièrement réorganisé après la guerre, en 1945. Dès la création de la Bundesliga en 1963, le championnat d’Allemagne de l’Ouest, le club participe au championnat. Malgré des résultats décevants dans ses premières années, le Hertha parvient progressivement à s’imposer en Bundesliga. Finalement, le club devient le plus populaire de Berlin.

Malheureusement, après une deuxième place au championnat lors de la saison 1974-75 et de bons résultats sur la scène européenne avec une demi-finale de coupe UEFA en 1978-79, le Hertha dû faire face à de gros problèmes financiers. Et ces problèmes auront des répercussions sur le plan sportif, puisque le club est relégué en deuxième division. Après plusieurs aller-retour entre la première et la deuxième division, le Hertha ne retrouvera la Bundesliga de manière pérenne qu’en 1997.

L’équipe du Hertha Berlin lors de la saison 1974-75 qui finira deuxième du championnat.
L’équipe du Hertha Berlin lors de la saison 1974-75 qui finira deuxième du championnat.

Avec tout ça, on pourrait croire que le Hertha, club le plus populaire de Berlin-Ouest, soit le rival de l’Union, club le plus populaire de Berlin-Est. À l’image de Madrid, Rome, Lisbonne, ou Londres, les derbies des capitales sont communs dans le football. D’autant plus quand les raisons politiques se mêlent au domaine du sportif ! Pourtant, à Berlin, il n’en est rien. De cette apparente rivalité politique va naître une des plus belles histoires d’amitiés dans le football.

De l’amitié au match de la réunification

C’est au début des années 1970 que l’amitié entre les deux clubs berlinois voit le jour. Pour les supporters de l’Union, la vraie rivalité se porte sur le BFC Dynamo. L’Union est alors un club contestataire. Ses supporters n’hésitent pas à entonner des chants contre le mur de Berlin, ou à s’opposer à la Stasi d’Erich Mielke.

Cette haine du BFC, et à travers lui, de la Stasi, le club de l’Union va vite la partager avec son voisin de l’Ouest. À cette époque, les Berlinois de l’Ouest pouvaient recevoir des autorisations pour se rendre partiellement dans Berlin-Est. Des supporters du Hertha ont alors pris l’habitude de se rendre au stade de l’Union pour assister aux matchs du club de Berlin-Est.

“Même ce mur de merde ne peut pas nous séparer”. Un exemple de patch passé en fraude dans le stade de l’Union, et porté par les supporters des deux équipes. 
Même ce mur de merde ne peut pas nous séparer”. Un exemple de patch passé en fraude dans le stade de l’Union, et porté par les supporters des deux équipes. 

Le An der Alten Försterei, stade de l’Union Berlin, devient alors un lieu de dissidence contre l’État Est-Allemand. Les Berlinois de l’Est comme de l’Ouest s’y rassemblent. Cette communion entre Berlinois se concrétise en 1979. Le Hertha se déplace alors à Prague pour un quart de finale de coupe UEFA. Reconnaissants envers les supporters du Hertha, les fans de l’Union feront le déplacement à Prague pour soutenir le club de Berlin-Ouest. Des milliers de Berlinois, de l’Est comme de l’Ouest, se réunissent alors grâce au football.

Cette solidarité entre supporters perdura pendant plusieurs décennies. Au point de se concrétiser de la plus belle des manières en 1990. Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Les retrouvailles entre Berlinois ont enfin lieu, après 28 ans de séparation.

La match de la réunification

Très vite, ces retrouvailles se concrétisent autour du football. Deux jours seulement après la chute du mur, le Hertha doit jouer un match pour remporter le titre de deuxième division. C’est donc des milliers de Berlinois unis qui vont se rendre au stade du Hertha pour assister au match le 11 novembre 1989. L’affluence du stade était généralement autour des 10 000 supporters. En ce 11 novembre, c’est près de 60 000 Berlinois qui assistent à la victoire du Hertha. On estime à près de 30 000 le nombre de supporters venus de Berlin-Est

Après cette victoire, le succès populaire du match va donner des idées aux dirigeants du Hertha et de l’Union. Cela aboutit à l’organisation d’un match amical entre les deux clubs. Ce match de la réunification veut célébrer la réconciliation des deux Allemagne, et donc des deux Berlin. 

Dirk Greiser (à gauche) et Olaf Seier (à droite), capitaines du Hertha et de l’Union, bras dessus, bras dessous lors du match de la réunification. 
Dirk Greiser (à gauche) et Olaf Seier (à droite), capitaines du Hertha et de l’Union, bras dessus, bras dessous lors du match de la réunification. 

Le 27 janvier 1990, quelques semaines après la chute du mur, se tient donc le match de la réunification, au stade olympique de Berlin. Et cela devant plus de 50 000 supporters. Symboliquement, le prix du billet avait été fixé à 5 marks pour que tous les Berlinois, de l’Est comme de l’Ouest, puissent assister à l’événement. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, Berlin rencontrait Berlin. Score final : 2-1 pour l’Union, mais l’intérêt se trouvait évidemment ailleurs.

Des supporters des deux équipes unis lors du match de la réunification.
Des supporters des deux équipes unis lors du match de la réunification.

Aujourd’hui encore, ce derby de Berlin qui oppose le Hertha et l’Union garde une signification particulière dans le monde du football. Ses dimensions historiques et politiques font de ce match un événement à chaque fois que les deux équipes se rencontrent. Cette relation unique, mêlant geste de solidarité et soutien mutuel, concrétisé par le match de la réunification, démontre une nouvelle fois le pouvoir du football comme vecteur d’unité.

Articles précédents

Les grèves en France : un moteur de changement social

Article suivant

5 espèces de cétacés que vous ne connaissez pas

Plus d'articles