Dans la nuit du 25 au 26 septembre 1983, le destin du monde fut entre les mains d’un seul homme. Vers minuit quinze, heure de Moscou, une alerte se déclenche dans une base militaire chargée de recueillir les informations satellites de l’Union soviétique. Cinq missiles nucléaires américains seraient en route pour frapper le sol soviétique. Riposter ou ne rien faire, voilà le dilemme auquel Stanislav Petrov fut confronté.
Stanislav Petrov: Militaire soviétique durant la Guerre froide
Stanislav Petrov est né en 1939 à Vladivostok. Fils de militaire, il rentre dans l’armée en 1954. Il intègre par la suite l’école d’ingénieur de l’armée de l’air à Kiev. C’est là qu’il étudie les systèmes de radars longues distances. En 1972, il sort de l’académie militaire avec le grade de lieutenant-colonel. Petrov est alors affecté au poste de surveillance du nouveau système d’alerte rapide destiné à détecter les potentielles attaques de missiles en provenance des États-Unis, ou de ses alliés de l’OTAN.
Car oui, au beau milieu des années 1970, le monde coupé en deux blocs est alors en pleine Guerre froide. Depuis 1947, URSS et États-Unis s’opposent et se livrent une guerre d’influence sur l’ensemble de la planète. Différentes crises vont alors alimenter la haine que se vouent les deux camps. Après la crise Berlin en 1961, qui a conduit à la séparation de la ville par le célèbre mur, éclate la crise des missiles de Cuba. En 1962, l’URSS installe des rampes de lancements de missiles nucléaires à Cuba en direction des côtes américaines. Avec cette crise, le monde prend conscience du poids de la menace d’un conflit nucléaire mondial entre les deux puissances.
Après avoir frôlé la catastrophe à Cuba, s’ensuit la période dîtes de “Détente”. L’un des principaux objectifs était de réduire le risque de guerre nucléaire, conscient qu’un tel évènement signifierait potentiellement la fin de l’humanité. États-Unis et Union soviétique s’entendent alors pour baisser leur nombre de missiles nucléaires et faire retomber la tension entre les deux camps.
Cette période de “dégel” diplomatique montre alors que le dialogue est possible et nécessaire. Mais dès 1976, les tensions reprennent. De plus, l’année 1979 finit d’achever cette période de Détente. En effet, l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique, et surtout la crise des euromissiles ravivent les craintes et les menaces d’un conflit nucléaire. En plaçant des missiles tout le long de la limite du bloc de l’Est, pointés en direction de l’Europe de l’Ouest, l’URSS réveille les inquiétudes occidentales. La réponse des États-Unis et de l’OTAN ne se fait pas attendre. Les Américains répliquent en faisant de même, et déploient de nouvelles armes nucléaires dans cinq pays européens. Chaque bloc vise l’autre avec une armada de missiles capables d’anéantir l’adversaire.
25 septembre 1983: La nuit déterminante
C’est dans ce contexte très particulier que Stanislav Petrov est chargé de la surveillance des radars antimissiles soviétiques. Mais avant la fameuse soirée du 25 septembre a lieu un dernier incident majeur. Le 1er septembre 1983, un avion civil de Korean Air Lines reliant New York à Séoul en Corée du Sud, dévie de sa trajectoire et entre par erreur dans l’espace aérien soviétique. Un avion de chasse soviétique abat alors l’avion qui comptait 269 passagers à son bord. Parmi ces victimes, on compte 60 Américains, dont un sénateur. Les Soviétiques nient d’abord toute implication dans ce drame. Finalement, l’URSS reconnaît avoir bien abattu l’avion, pensant qu’il s’agissait d’un avion espion.
La tension est alors à nouveau à son paroxysme. Le monde craint une nouvelle fois le déclenchement d’une guerre nucléaire. Et tout ça, Stanislav Petrov le sait bien. Officier de garde sur la base d’alerte stratégique de Serpukhov-15, à une centaine de kilomètres au sud de Moscou, Petrov est chargé de recueillir toutes les informations des satellites soviétiques qui surveillent d’éventuels tirs de missiles.
La nuit du 25 septembre, les systèmes d’alerte se déclenchent. Les radars indiquent d’abord un, puis cinq tirs de missiles balistiques en provenance des Etats-Unis. Le moment que le monde entier redoutait est en train de se produire. Théoriquement, Stanislav Petrov a pour ordre d’informer ses supérieurs immédiatement pour que la réplique soit lancée dans la foulée. Il est l’officier de service, il ne revient donc qu’à lui de s’acquitter de cette tâche.
Quelle que soit la décision prise, Petrov n’a que quinze minutes pour déterminer si la menace est réelle ou pas, et ce malgré la panique ambiante dans la base Serpukhov-15. Mais le lieutenant-colonel Petrov va avoir un éclair de génie.. Les Américains ont des milliers de missiles balistiques nucléaires. Alors, pourquoi n’en lancer que cinq ? Quand on commence une guerre, on ne le fait pas qu’avec cinq missiles.
Stanislav Petrov, dans l’urgence, fait un pari fou. Pour lui, il n’y a aucun missile. C’est un bug du satellite, et ce malgré les indications des radars. Il informe alors sa hiérarchie, leur expliquant qu’il ne s’agit pas d’une attaque, mais bien d’une fausse alerte due à un dysfonctionnement du système. De longues minutes s’écoulent. Petrov attend, priant de ne pas s’être trompé.
Et puis.. Rien. Il s’agissait bien d’un bug. Un bug qui aurait pu coûter extrêmement cher. Mais Stanislav Petrov avait bien raison. On découvrira par la suite que ce que les Soviétiques ont pris pour un tir de missile était en fait simplement des reflets du soleil sur les nuages. La signature thermique de ces reflets fut mal interprétée par les radars soviétiques.
Stanislav Petrov: Un héros pour la paix
Bien évidemment, après une histoire pareille, les autorités soviétiques classèrent cette affaire secret défense. Après cette longue nuit d’inquiétude, Stanislav Petrov qui venait de sauver le monde d’une apocalypse certaine, oublia de remplir son rapport de la soirée. Un oubli qui lui vaudra.. un blâme. Petrov soutiendra même que les enquêteurs chargés d’analyser cette fausse alerte cherchèrent à faire de lui un bouc émissaire. En effet, l’armée le désavoua pour avoir osé critiquer le système.
Finalement, quelques mois après l’incident, Stanislav Petrov reçut une décoration “pour mérites rendus à la patrie au sein des forces armées“. Mais l’histoire resta secret défense jusqu’en 1998. Une fois déclassifié, Stanislav Petrov reçut plusieurs centaines de lettres de remerciement venues de toute l’Europe. Son fils témoigna, disant de son père qu’il ne comprit jamais vraiment cette agitation, estimant qu’il avait seulement bien fait son travail.
Malgré cette humilité, Stanislav Petrov sera plusieurs fois décoré. Il reçut d’abord la médaille du mérite. Puis en 2004, il reçut la distinction de “l’homme qui sauva le monde” de la part de l’Association of World Citizens, une association américaine qui milite pour la paix dans le monde. Il est même reçu au siège de l’ONU en 2006. Lors de son discours, il maintiendra qu’il n’est pas un héros, mais seulement un homme qui faisait son travail. En 2013 il reçoit également le Prix Dresde, un prix décerné chaque année pour récompenser ceux qui œuvrent pour la paix. Un film-documentaire lui sera même dédié: The Man who save the world, sorti en 2014, dans lequel il apparaît aux côtés de Kevin Costner.
Cette nuit du 25 septembre 1983, le sort de toute l’humanité s’est retrouvé dans les mains d’un seul homme. Ce scénario infernal qui ressemble beaucoup plus à de la science-fiction qu’à la vraie vie a bien failli nous mener vers une apocalypse nucléaire. Stanislav Petrov décède le 19 mai 2017 à 77 ans, près de Moscou, dans l’anonymat le plus total. On estime que sans sa courageuse décision, plus de 2,5 milliards de personnes auraient pu périr dans ces bombardements nucléaires. Tous les héros ne portent pas de cape. Donc, merci Stanislav Petrov.