On en a déjà parlé, mais l’alpinisme est né dans les Alpes. Aujourd’hui, la pratique ne se limite plus qu’à cette chaîne de montagnes. D’ailleurs, on entend de plus en plus de nouveaux termes à mesure de son développement.
Vers une mondialisation géographique de la discipline alpine
Rapidement, les alpinistes voient plus grand et cherchent à découvrir de nouveaux horizons, toujours plus hauts et toujours plus difficiles. Si la pratique se mondialise, c’est parce que les grimpeurs explorent de nouveaux continents, et non parce que les habitants du monde entier se mettent à l’alpinisme, du moins dans une moindre mesure. On peut parler d’une mondialisation des lieux de pratique à défaut d’une mondialisation de la pratique.
Cela signifie-t-il que les montagnes n’ont aucune signification pour les sociétés non européennes qui les habitent ? Évidement que non. Bien avant l’arrivée des explorateurs européens, ces sommets jouent un rôle significatif dans les croyances des populations autochtones. Par exemple, le Kilimandjaro, le plus haut sommet d’Afrique, occupe une importance fondamentale pour les habitants locaux. Il est objet de vénération et suscite à la fois crainte et curiosité. Des expéditions sont organisées pour atteindre les zones les plus élevées de la montagne.
Cependant, ces populations ne cherchent pas à mesurer la montagne ou à conquérir son sommet avant que l’explorateur Carl Claus von der Decken et ses successeurs, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ne sollicitent leur aide pour accomplir cette entreprise. Les montagnes étaient davantage importantes pour leur beauté et leur puissance plutôt que pour leurs sommets, souvent atteints pour nourrir l’égo de ceux qui les tentent. C’est d’ailleurs en 1889 que les européens Hans Meyer et Ludwig Purtscheller atteignent le sommet de l’Afrique.
L’ascension des plus hauts sommets mondiaux
Du côté de l’Amérique du Sud, en Patagonie, Georges Claraz ouvre la voie en découvrant et en décrivant la région en 1865. Il faut cependant attendre 1921 pour voir l’organisation des premières expéditions sur le toit du monde, l’Everest. Il culmine actuellement à 8849 mètres entre le Népal et le Tibet. Désormais, l’Everest est bien connu des Sherpas et des grimpeurs expérimentés. Par le passé l’objectif n’était pas d’atteindre le sommet, mais de faire des repérages pour un jour, atteindre le sommet.
En 1922, Georges Mallory atteint pour la première fois la barre symbolique des 8000 mètres. Littéralement la zone de la mort, puisque la même année, 7 personnes y perdent la vie. En 1924, Mallory perd la vie au cours d’une nouvelle tentative, sans avoir officiellement atteint le sommet, lui qui expliquait vouloir l’atteindre « juste parce qu’il était là ». On précisera « officiellement », car il avait promis de déposer une photo de sa famille au sommet s’ il l’atteignait, alors qu’il a été retrouvé mort sans cette même photo, laissant penser qu’il aurait pu l’atteindre avant de mourir sur la redescente. La suite ? On la connait, car c’est le 29 Mai 1953 que le néo-zélandais Sir Edmund Hillary et le népalais Tenzing Norgay se retrouvent au sommet de l’Himalaya.
Une lente démocratisation de la pratique
Il faudra attendre les années 1920 pour voir les premières cordées entre femmes, l’alpinisme ayant longtemps été réservé aux hommes (encore aujourd’hui, la pratique reste globalement masculine). À partir de 1929, Alice Damesme et Micheline Morin se démarquent en accomplissant diverses ascensions féminines au cours de la décennie, y compris la traversée du Grépon, l’ascension du Cervin, du Mönch, de la Meije, et de l’Aiguille Verte via l’arête du Moine. Le manque de reconnaissance sociale entourant ces exploits suggère probablement une faible acceptation sociale de l’époque. En 1975, la japonaise Junko Tabei fut la première femme à atteindre le sommet de l’Everest.
À partir des années 1990, l’alpinisme devient aussi une pratique commerciale et la course aux sommets devient presque inarrêtable. Parmi les précurseurs, les sociétés Adventure Consultants de Rob Hall et Mountain Madness de Scott Fisher. En raison de ce genre d’entreprises, des alpinistes moins expérimentés peuvent se permettre de tenter l’ascension pour peu qu’ils aient plusieurs dizaines de milliers d’euros à débourser. Mais ces nouvelles expéditions sont soumises à de nombreuses critiques par les grimpeurs de la première heure.
Mondialisation et démocratisation de l’alpinisme au coeur des critiques
Dans un livre intitulé L’esprit de l’alpinisme, Delphine Moraldo explique que l’excellence est au cœur de l’esprit de l’alpinisme. Au départ, les alpinistes devaient être amateurs, tout comme pour les autres sports du 19 ème siècle. La montagne devait être pratiquée par plaisir occasionnel et non comme un métier. Dans ce cas, les amateurs devaient se contenter des sommets à leur portée.
Mais la pratique la plus discutable est celle de l’usage de cordes fixes, des crampons, et surtout de l’oxygène. Les puristes parlent de fair-play vis à vis de la montagne. Il faudrait lui laisser sa chance de nous interdire l’accès au sommet. Avec ces nouveaux outils, les pratiquants cherchent à aller toujours plus loin et toujours plus haut. Les grimpeurs peuvent en oublier à quel point la montagne est puissante et se tromper de combat.
Parfois considéré comme le « roi des sports », le rapport à l’accident et à la mort y est prédominant. Les alpinistes ont toujours estimé le risque qu’ils couraient, mais il était à l’origine coutume de les éviter à tout prix. C’était indigne d’un « gentlemen » que de jouer avec la mort. Les choses ont considérablement évolué, particulièrement durant les expéditions dans l’Himalaya. Les risques liés à la pente et à l’altitude sont omniprésents et amplifiés par la quête de vitesse, de légèreté et d’innovation.
Finalement, on constate que l’alpinisme s’est mondialisé dans les lieux de pratique et est aujourd’hui un sport pratiqué sur tous les continents, comme en témoigne l’ascension des « sept » (les 7 sommets les plus hauts de chaque continent). La pratique s’est donc diversifiée et massifiée dans le temps et l’espace, mais pas vraiment dans l’origine sociale de ses pratiquants: les femmes et les classes populaires tentent de se faire une place, mais il en demeure un sport de riche majoritairement pratiqué par des hommes blancs occidentaux.