Sur un fond noir, le visage d’une jeune femme presque adolescente fixe le spectateur, les épaules tournées de trois quarts. Sur sa tête, un turban bleu. Et accrochée à son oreille, une perle qui attire inévitablement les yeux. Il s’agit bien évidemment de La Jeune Fille à la Perle, réalisé par Johannes Vermeer autour de 1665. Bien que familier du grand public, ce tableau du maître est aussi très énigmatique. Et si l’on plongeait un instant dans ses yeux ?
Vermeer, figure de proue de l’âge d’Or hollandais.
Pour comprendre un peu mieux le tableau, il est indispensable de se pencher sur Johannes Vermeer et son œuvre. Né en 1635, Johannes tombe à point nommé, puisque sa vie coïncide avec la période de l’âge d’or de l’art néerlandais. Dans ce jeune pays tout juste libéré du joug des Habsbourg et que l’on nomme encore les “Provinces-Unies”, plusieurs artistes se distinguent par des styles hérités des peintres italiens de la Renaissance. On parle de Vermeer, donc, mais aussi de Rembrandt ou de Rubens, parmi tant d’autres.
Par sa position stratégique, le pays connaît au XVIIe siècle un essor économique sans précédent. Les bourgeois néerlandais prospèrent, et souhaitent financer des artistes locaux. C’est ainsi que Vermeer apparaît comme le peintre incontournable de Delft, une petite ville située entre La Haye et Rotterdam, berceau de la famille royale encore au pouvoir à ce jour, la dynastie Orange-Nassau.
Vermeer, le plus énigmatique des grands maîtres
Fils de tisserand, le jeune Johannes grandit dans un univers raffiné et coloré. Mais nous ne savons en réalité que très peu de choses de sa vie. Les historiens peinent à retracer son parcours académique, et nous sommes aujourd’hui en capacité de lui attribuer avec certitude qu’une petite quarantaine de tableaux – une rareté qui en fait aujourd’hui des œuvres parmi les plus prisées dans le monde de l’art.
La vie du maître, relativement calme et discrète (au point qu’on le surnommait le “Sphinx” de Delft) s’arrête nette en 1672, à 43 ans seulement. Cette année-là, surnommée la Rampjaar (« l’année désastreuse » en néerlandais) voit les Provinces-Unies prises dans une guerre destructrice opposant les grandes puissances du continent. Le commerce de l’art est réduit à néant, et Vermeer meurt dans l’anonymat le plus total, criblé de dettes. Pour couronner le tout, les villes environnant Amsterdam, dont Delft, sont volontairement inondées afin de défendre la capitale, abîmant probablement de nombreux vestiges de sa vie.
Pourquoi La Jeune Fille à la Perle est-elle si spéciale ?
Le tableau de La Jeune Fille à la Perle dénote dans l’œuvre de Vermeer. En effet, la grande majorité de ses toiles représente généralement des scènes de la vie quotidienne néerlandaise. Généralement, le point de vue est espacé, et les détails abondent. On pourra par exemple citer la très célèbre Laitière, peinte à la même période, ou les diverses peintures réalistes que sont La Lettre d’Amour ou La Femme à la balance.
La pose si énigmatique et originale de la jeune fille donne au spectateur une impression de mouvement et de spontanéité. Le peintre, en quête de perfection, empreinte plusieurs techniques à ses maîtres spirituels, notamment celle du Sfumato de Leonardo Da Vinci. Le fond noir, qui sert à mettre toute la lumière sur le sujet, est quant à lui un modèle de clair-obscur, également propre aux peintres les plus baroques du siècle précédent. Un soin tout particulier est donné à la lumière sur ce tableau : en témoigne l’éclatant reflet de la perle, brillant dans l’obscurité du cou. Finalement, dans ce tableau, tous les éléments de la composition sont, au choix, vivement éclairés ou dans la pénombre totale. Ce jeu permet d’accentuer l’aspect intimiste de la toile, et la proximité du spectateur avec la jeune fille.
Qui est la jeune fille à la perle ?
Hélas, il est aujourd’hui toujours impossible de poser un nom sur le visage de La Jeune Fille à la Perle. Il y a bien eu des tentatives d’explications – en roman, tout d’abord avec le roman éponyme de Tracy Chevalier, puis par l’adaptation sur Grand écran avec Scarlett Johansson dans le rôle-titre en 2003. Dans ces deux fictions, le modèle est en fait une des servantes du peintre, avec qui il vit une idylle enflammée.
Si au premier regard c’est la beauté voire la sensualité du modèle qui frappe, la théorie dit tout autre chose. En effet, la position de la jeune fille ainsi que sa perle évoquent plutôt – pour les experts de l’art – une certaine chasteté, une pureté. Il serait donc crédible que la jeune fille puisse être l’une des filles du peintre, ou bien encore une femme de notable local (à l’instar de la Mona Lisa, sa “cousine” italienne).
Aujourd’hui, le tableau repose dans la prestigieuse galerie du Mauritshuis, à La Haye, entouré d’autres oeuvres emblématiques de l’époque : Le Violoniste de Adriaen van Ostade, ou bien sûr La Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt.
Un moment de grâce paternelle, un amour secret ou une simple commande d’un bourgeois local… Qu’importe : La Jeune Fille à la Perle est une véritable singularité dans le répertoire de Vermeer. Pourtant, elle tombe dans l’oubli pendant près de 200 ans, avant de réapparaître à la fin du XIXe siècle lors d’une vente aux enchères. En 1994, sa restauration sous les yeux du public (fait rare !) lui rend tout son éclat et l’inscrit définitivement dans la liste des plus grands chefs-d’œuvre de l’art pictural.