Depuis une dizaine d’années, le “yoga du rire” est une pratique qui gagne en popularité dans le monde entier. Si aujourd’hui, rire aux éclats est perçu comme un comportement positif, voire encouragé, ça n’a pas toujours été le cas. Au cours de l’histoire, le rapport au rire n’a pas toujours été le même. Il fut un temps où il était même préférable de se cacher derrière son éventail pour pouffer discrètement.
Le yoga du rire
Le rire, c’est bon pour le moral et c’est scientifiquement prouvé. En effet, il libère de nombreuses hormones liées au plaisir : l’endorphine procure une sensation de détente, la dopamine est associée à la récompense, ou la sérotonine, littéralement l’hormone du bonheur. Elle, c’est la reine des hormones. Toutefois, on ne se tape pas des grosses barres de rire tous les jours. Le corps humain peut, selon certains médecins, être en manque. Pour remédier à cela, Dr. Madan Kataria, un médecin indien, pense à un concept : le yoga du rire. En 1995, il fonde le premier Club de Rire à Mumbai. L’idée de Kataria était de démontrer que même un rire forcé ou simulé pouvait produire des effets bénéfiques sur le corps et l’esprit, comme un rire spontané.
Au début, il utilisait des blagues et des jeux de mots pour initier le rire dans un groupe. Il conçoit ensuite une série d’exercices permettant aux gens de rire ensemble, dans une atmosphère bienveillante. Le concept a évolué jusqu’à devenir une véritable thérapie : le yoga du rire. On y mêle des techniques de rire volontaire avec des exercices de respiration, de relaxation et de mouvements. Aujourd’hui, il existe des clubs de yoga du rire dans de nombreux pays du monde. Dans de nombreux pays d’Europe, comme en France, il existe même des formations pour devenir instructeur du yoga du rire. Toutefois, c’est en Allemagne que le mouvement a pris le plus d’ampleur où même des festivals sont organisés autour de cette pratique.
Moeurs à travers les époques
Anomalie, insulte à la virilité ou impolitesse, à travers les époques, la perception du rire en société a pris de nombreuses formes. Dans l’Antiquité, que ce soit en Grèce ou à Rome, les philosophes avaient une vision plutôt réservée du rire. En effet, Socrate l’associait à une perte de contrôle, voire à un dérèglement des émotions. On préférait s’autoriser à rire en public dans un cadre strictement défini, comme lors de représentations théâtrales. Toutefois, une constante demeure dans notre rapport au rire : il a toujours servi à exprimer des critiques, notamment par le biais de l’humour et de la satire.

Au Moyen Âge, pour endiguer la satire perçue comme dérangeante par le pouvoir, le rire devient plus codifié. L’influence de l’Église sur les comportements sociaux renforce le contrôle des émotions, particulièrement sur les rires jugés excessifs. La plupart du temps, il est même considéré comme un péché. Seuls les bouffons sont véritablement encouragés à rire aux éclats devant une cour. Le rire devient alors une forme de spectacle à part entière
À partir de la Renaissance, on se détend un peu plus. Le rire devient un moyen d’expression plus spontané et plus accepté, notamment grâce aux progrès de l’art, de la littérature et du théâtre. Pourtant, de nombreux dramaturges continuent de le considérer comme une simple pulsion, une réaction instinctive face à la bêtise de certains personnages. Molière, en revanche, adopte une perspective différente. Bien décidé à faire du rire un outil de critique sociale, il affirme qu’il n’y a “rien de plus sérieux que la farce ni que le rire qu’elle provoque”. Cette philosophie traverse l’ensemble de ses pièces. D’ailleurs, il était lui-même réputé pour son rire très (vraiment très) fort et communicatif.

Rire, un affront à la virilité
Avec l’avènement de la révolution industrielle et du capitalisme, on se re-coince. Le rire se perd dans un certain formalisme social. La société moderne devient plus sérieuse. Bien que le rire soit encouragé dans certains espaces comme au cinéma et dans les spectacles de variété, il est souvent perçu comme un luxe ou une perte de temps. Pire. Pour les femmes, le rire féminin est perçu comme un affront à la virilité de l’homme. Plus exactement, lorsqu’une femme riait dans une conversation avec des hommes, le rire féminin rompait avec le sérieux de monsieur, mettant en cause son autorité.
En conséquence, jusqu’au début du XXème siècle, les femmes qui riaient fort étaient directement sexualisées, associées à des courtisanes. Afin de rester “correcte”, on conseillait à madame de se cacher et de rire discrètement derrière un éventail, au risque de passer pour une hystérique.

Des écrivaines telles que Colette ou Virginia Woolf en ont d’ailleurs fait une cause directe dans leurs œuvres littéraires. En 1905, Virginia Woolf a même écrit pour The Guardian « The Value of Laughter », un texte sur le rôle émancipateur du rire pour les femmes. Tout au long du XXème siècle, son envie de se libérer des tabous et des conventions bourgeoises va inspirer de nombreuses écrivaines.
Tantôt célébré, tantôt censuré, le rire a toujours été un miroir des sociétés. Aujourd’hui, à l’ère de l’individualisme et des réseaux sociaux, le rire reste un puissant levier de partage. Que ce soit à travers les réseaux sociaux, l’art ou même le yoga du rire, le rire a une fonction essentielle : fédérer et apporter de la joie et de la légèreté.