Vous ne le saviez peut-être pas, mais l’Antiquité est une référence historique essentielle dont les Pères fondateurs des États-Unis se sont servis après l’indépendance. Et Thomas Jefferson en est le précurseur. L’auteur de la Déclaration d’indépendance était fasciné par Rome, et plus précisément pour son architecture. Avant de devenir le troisième président des États-Unis en 1800, Jefferson devient ambassadeur américain en France à partir de 1785. Cette place lui donne l’occasion de voyager dans toute la France. Et notamment dans le Midi, à Nîmes, où le futur président américain fut marqué par les vestiges romains de la ville. Au point de marquer la construction des États-Unis..
Thomas Jefferson, avant d’être ambassadeur
Thomas Jefferson est né en 1743 dans l’État de Virginie. Il est issu d’une famille de planteurs esclavagistes. En grandissant, il s’oriente vers des études de droit et devient magistrat. Mais à côté de ça, Jefferson se passionne pour plusieurs disciplines différentes comme l’histoire, la cartographie, le latin, le français, la philosophie, ou encore l’architecture.
Dès 1767, Thomas Jefferson s’implique dans la politique de la Virginie en étant élu à l’assemblée de l’État. Mais c’est en 1774 qu’il réalise un coup d’éclat qui le fait connaître des Américains. Après la Boston Tea Party de 1773, une révolte politique contre le Parlement Britannique suite à la mise en place de taxes commerciales dans les colonies américaines, Jefferson écrit A Summary View of the Rights of British America. Dans ce pamphlet, il se prononce en faveur de l’indépendance. Une publication qui va donc le faire remarquer bien au-delà de sa Virginie natale, notamment pour ses talents d’écrivain.
C’est pourquoi, en 1776, Thomas Jefferson est chargé d’écrire la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis. Ce texte inaugural de la nation américaine prône la révolte contre l’empire britannique. De 1779 à 1781, alors que la guerre d’Indépendance américaine fait rage, Jefferson est élu gouverneur de Virginie. C’est durant ce mandat qu’il choisit d’établir la capitale de son État dans la ville de Richmond.
En 1783, la guerre d’Indépendance américaine prend fin, marquant ainsi officiellement la création des Etats-Unis. Par la suite, Jefferson siège au Congrès américain, alors sous le régime de la première constitution. Mais dès 1785, il est nommé représentant du Congrès des États-Unis à Paris. Il succède à Benjamin Franklin, un autre Père Fondateur.
Le tour de France de Thomas Jefferson
C’est donc en mai 1785 que Thomas Jefferson devient ambassadeur des États-Unis en France. Le but de sa nomination à Paris est de négocier des traités commerciaux avec la France, pays qui a œuvré à l’indépendance américaine. Mais l’ambassadeur américain ne va pas se limiter aux négociations commerciales. Durant sa présence en France, Jefferson savoure la vie culturelle parisienne et la richesse de ses musées. Véritable francophile convaincu, il en profite également pour voyager à travers tout le pays.
Véritable passionné d’Histoire et d’architecture, Jefferson était plus précisément un admirateur de l’histoire romaine et grecque. Dans l’une de ses lettres à John Adams, autre Père fondateur qui deviendra plus tard le deuxième président des États-Unis, Thomas Jefferson écrit: “Je suis beaucoup plus intéressé par ce qui s’est passé il y a deux ou trois mille ans que par ce qui se passe aujourd’hui”.
Mais ce sont surtout les vestiges romains qui le passionnent particulièrement. Il profite donc d’être en France pour voyager et contempler les vestiges de l’architecture romaine. Jefferson entame ses voyages en février 1787 en commençant par la Bourgogne. Il descend en suite la vallée du Rhône, avant de séjourner en Provence. Il en profitera d’ailleurs pour faire un saut dans le Piémont italien. Jefferson traverse ensuite le Languedoc, passant par le Midi et faisant étape à Nîmes. Après ça, il remonte à Bordeaux, passe par La Rochelle, traverse la Bretagne puis la Touraine avant de rentrer sur Paris.
La Maison Carrée de Nîmes: La source d’inspiration
Mais c’est surtout son étape à Nîmes, en mars 1787, qui le marque profondément. La ville gardoise jouit en effet d’un patrimoine romain exceptionnel avec ses arènes, son castellum, sa Tour Magne, et surtout, sa Maison Carrée. C’est ce monument qui impressionne le plus Thomas Jefferson. Dans sa correspondance avec Madame de Tessé, une comtesse française dont il fréquenta le salon et avec qui il se lia d’amitié, Jefferson écrit : “Je suis là, Madame, à contempler des heures entières la Maison Carrée, comme un amant sa maîtresse”.
Le futur président américain tombe alors en admiration devant ce bâtiment, pour ses courbes, sa beauté, sa blancheur.. La Maison Carrée est un ancien temple romain édifié au début du Ier siècle après J.-C. Elle est consacrée aux petits-fils adoptifs de l’empereur Auguste. Encore aujourd’hui, son état exceptionnel de conservation en fait l’un des temples romains les mieux préservés du monde !
Cette admiration était telle que le futur président américain fit la demande à Charles-Louis Clérisseau, un architecte français reconnu, de trouver les plans du bâtiment et de les dessiner pour pouvoir les emporter avec lui lors de son retour aux États-Unis.
En effet, Thomas Jefferson avait déjà dans l’idée de prendre la Maison Carrée pour modèle pour la construction de bâtiments institutionnels aux États-Unis. Dans sa correspondance avec James Madison, encore un Père fondateur qui deviendra plus tard le quatrième président des États-Unis succédant d’ailleurs à Thomas Jefferson, ce dernier écrit : “Nous avons pris pour modèle ce qu’on appelle la Maison Carrée de Nîmes, un des plus beaux, sinon le plus beau et le plus précieux morceau d’architecture que nous ait laissé l’Antiquité.”
De Nîmes à Richmond.. à Washington
Car oui, au-delà de la simple admiration, Thomas Jefferson se servit de la Maison Carrée comme inspiration. Et on comprend l’importance de prendre modèle sur l’un des plus grands empires de l’Histoire pour la jeune République américaine ! De retour aux États-Unis en novembre 1789, Thomas Jefferson se charge de doter Richmond, capitale de l’état de Virginie, d’un capitole comme siège du pouvoir législatif et bureau du gouverneur de l’état.
Avec l’aide de Charles-Louis Clérisseau, l’architecte français qui lui fournit les plans de la Maison Carrée, Thomas Jefferson conçoit le plan du Capitole de Richmond en prenant pour modèle le monument nîmois. Malgré certaines petites différences voulues par Jefferson, comme les colonnes ioniques à la place des colonnes corinthiennes de la Maison Carrée, le Capitole de Richmond est une reproduction quasi identique du monument romain. Jefferson pose la première pierre du Capitole le 18 août 1785. Le chantier prend fin en 1788.
Mais la filiation ne s’arrête pas là ! En effet, l’architecture néo-classique du Capitole de Richmond, influencée par la Maison Carrée, sera de nouveau utilisée pour la construction d’autres bâtiments fédéraux américains. En 1790, Thomas Jefferson devient secrétaire d’État après l’élection du premier président des États-Unis: George Washington. Rapidement, il souhaite reproduire à Washington, la nouvelle capitale du pays, ce qu’il avait accompli à Richmond en Virginie.
Ainsi, Jefferson joue un rôle actif dans la conception et la validation des projets de construction du Congrès américain et de la Maison-Blanche. Les deux bâtiments, de style néo-classique, reprennent ce que Jefferson considérait comme la majesté des bâtiments romains. Des pierres blanches, des lignes droites et épurées, des colonnes.. On parle alors de l’émergence du style fédéral, venant s’opposer au style géorgien que les Anglais avaient fait adopter à leurs colonies américaines. Par ce choix, Jefferson dote son jeune pays d’un style qui lui est propre, marquant la rupture avec l’héritage anglais.
Alors que les États-Unis n’étaient qu’une jeune démocratie républicaine, les Pères fondateurs ont consciemment choisi de se référencer à la République romaine, plutôt qu’à la Monarchie britannique. Les bâtiments construits par Jefferson ne sont finalement qu’un miroir de la construction constitutionnelle des États-Unis. En s’inspirant de la Maison Carrée, Thomas Jefferson donne une “direction artistique” à son jeune pays. Et le tout en se comparant à la grandeur de Rome. Rendez-vous, donc, dans 2 000 ans pour voir si le Capitole de Richmond reste aussi bien conservé que la Maison Carrée de Nîmes aujourd’hui.