Villes transfrontalières : Quand une ville se trouve dans deux pays

Parmi toutes les situations insolites que la géographie a à nous offrir, le cas des villes transfrontalières est sans doute l’un des plus intéressants. Comme son nom l’indique, une ville transfrontalière est une ville traversée par une frontière. La ville coupée en deux se situe donc dans deux pays différents. Mais derrière cette situation, il existe des explications et des réalités bien différentes d’une ville à l’autre…

Les villes qui n’étaient pas transfrontalières à l’origine

Parmi les villes situées sur une frontière, il y en a beaucoup qui, à la base, n’étaient pas des villes transfrontalières. Construites à l’origine dans un pays bien précis, ces villes se sont vues traversées par une frontière après des bouleversements historiques ou géopolitiques. Et oui, les frontières, ça bouge

Le plus célèbre cas est sans doute celui de Berlin. Construite au XIVe siècle par la Prusse, avant de devenir capitale de l’empire allemand en 1870, Berlin était la ville d’un seul pays. Mais à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la capitale allemande est partagée entre le bloc occidental et le bloc soviétique. La crise de Berlin, qui commence en 1958, achève la séparation de la ville en deux avec la construction du Mur de Berlin en 1961

Le Mur de Berlin en 1986, symbolisant la frontière entre RFA et RDA.
Le Mur de Berlin en 1986, symbolisant la frontière entre RFA et RDA.

Traversée par une frontière incarnée en mur, la ville est donc partagée entre RDA et RFA. Deux pays différents issus de l’Allemagne. Mais Berlin n’est évidemment pas la seule ville à s’être développée comme un noyau unique pour finalement être séparée.

En Lorraine, on trouve par exemple le village de Leiding. À l’origine français, ce village devient Prusse en 1815 à la suite des guerres napoléoniennes. Mais en 1829, la frontière bouge à nouveau et une partie du village redevient française. Depuis, une frontière traverse le village en passant par la “rue de la frontière”. 

Les villes qui ont fusionné à la frontière

Deuxième catégorie de villes transfrontalières, celles qui ont fusionné à la frontière. À l’origine deux villes distinctes de deux pays distincts, certaines villes ont vu leurs urbanisations se rencontrer à la frontière. Et cela au point, finalement, de ne former qu’une seule ville. 

En langage géographique, on parle alors de villes jumelles, ou villes doublons. Le développement de ces villes dépend souvent de la frontière, suivant si elle est ouverte ou non. La plupart du temps, l’activité de ces villes dépend principalement de ce qu’on appelle le “différentiel frontalier”. Ce différentiel peut être économique, avec des salaires plus intéressants ou une fiscalité plus souple d’un côté de la frontière. Il peut aussi être démographique, avec une main-d’œuvre moins chère et plus nombreuse dans le pays voisin. Il peut également être culturel, avec des cultes ou des traditions différents d’un côté ou de l’autre de la frontière. 

Le différentiel frontalier est alors exploité comme une ressource par les acteurs se situant au bord de la frontière. Le plus souvent, ces exploitations sont avant tout économiques et financières. 

Tijuana (à gauche) et San Diego (à droite) séparés par la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
Tijuana (à gauche) et San Diego (à droite) séparés par la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.

On retrouve souvent ce cas de figure dans les villes situées à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. L’un des exemples les plus marquants est sans nul doute celui de Tijuana au Mexique et de San Diego aux États-Unis. Ces deux villes s’étalent de part et d’autre de la frontière entre les deux pays, mais forment une aire urbaine commune que l’on appelle “conurbation”. À elles deux, ces villes cumulent presque 5.5 millions d’habitants. Cela en fait la plus grande agglomération transfrontalière entre le Mexique et les États-Unis.

Le lien entre les deux villes est surtout économique. Beaucoup d’entreprises américaines sous-traitent dans des ateliers de Tijuana, tandis qu’un bon nombre de Mexicains travaillent à San Diego, car les salaires y sont plus attractifs. 

Les villes qui se sont développées jusqu’à dépasser dans un autre pays

À l’origine, ces villes sont d’un seul côté de la frontière. Mais en se développant, elles ont fini par grossir, au point de dépasser dans le pays voisin et d’empiéter sur son territoire. 

C’est par exemple le cas de Monaco. La principauté, pays le plus densément peuplé du monde, a un territoire enclavé entre la Méditerranée et la France. À cause de son territoire limité, la banlieue de Monaco a fini par se développer à l’extérieur de la principauté, en France. Même si la commune de Beausoleil est considérée comme française, elle ne fait qu’une avec Monaco.

Vue satellite de Monaco où l’on voit bien la Principauté “dépasser” sa frontière avec Beausoleil.
Vue satellite de Monaco où l’on voit bien la Principauté “dépasser” sa frontière avec Beausoleil.

Autre exemple parlant : Singapour. À l’origine, cette cité-État était une colonie britannique, jusqu’en 1965 où elle devient pleinement indépendante. Singapour se situe sur une île, Pulau Ujong, et possède donc un territoire limité. Ce manque de place a vite posé problème, notamment parce que le pays a connu une croissance démographique très importante depuis son indépendance. Le pays est passé de 1,9 million d’habitants en 1965, à presque 5,7 millions en 2020. Le pays a même dû appliquer une politique de contrôle de la natalité. Un slogan est d’ailleurs resté célèbre : “Deux, c’est assez”. 

Le problème, c’est que cette poussée démographique a fait “déborder” l’urbanisation de Singapour chez ses voisins malaisiens et philippins. Johor Bahru en Malaisie compte aujourd’hui 2 millions d’habitants, et se voit souvent considérée comme une banlieue de Singapour. De très nombreux travailleurs frontaliers y résident, notamment parce que là aussi, le différentiel frontalier y est intéressant. Les logements sont bien moins chers du côté malaisien par exemple.

Vue satellite de Singapour et de ses villes transfrontalières Johor Bahru et Batam.
Vue satellite de Singapour et de ses villes transfrontalières Johor Bahru et Batam.

Même logique avec l’île de Batam, qui se situe de l’autre côté du détroit de Singapour. Cette île indonésienne compte aujourd’hui plus d’un million d’habitants, et dépend beaucoup de l’influence de Singapour. 

Autres villes transfrontalières et cas particulier

Malgré ces catégorisations possibles, qui nous aident à mieux comprendre les villes transfrontalières, il existe des cas particuliers qui ne rentrent pas vraiment dans ces cases

On peut par exemple parler de Rome et du Vatican. Le cas unique au monde d’une ville se situant à l’intérieur d’une autre ! La Cité du Vatican étant un microÉtat européen, elle possède bien une frontière qu’elle partage donc avec l’Italie. Le plus petit pays du monde est entièrement enclavé dans la capitale italienne, ce qui en fait donc une ville transfrontalière. 

Vue satellite de la Cité du Vatican, en plein cœur de Rome, ce qui en fait des villes transfrontalières.
Vue satellite de la Cité du Vatican, en plein cœur de Rome.

Autre cas particulier et très insolite, le village de Baerle, partagé entre les Pays-Bas et la Belgique. Dans les faits, Baerle regroupe deux municipalités différentes : Baarle-Nassau du côté hollandais, et Baerle-Duc du côté belge. Mais à la suite d’accords féodaux datant du Moyen-âge, des échanges de terres et des traités historiques ont conduit à une véritable mosaïque d’enclaves.

En tout, il existe 22 exclaves belges du côté hollandais, et 8 exclaves hollandaises du côté belge. Bien que datant du Moyen-âge, ce véritable bazar frontalier a été officiellement confirmé en 1843 lors de la signature du traité de Maastricht qui servait justement à définir la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique. 

Plan des villes transfrontalières de Baerle-Duc et Baarle-Nassau.
Plan des villes transfrontalières de Baerle-Duc et Baarle-Nassau.

Malgré des tentatives de simplifications depuis, jamais aucune n’a abouti. Baerle reste donc l’une des villes transfrontalières les plus insolites et un cas quasi unique au monde. 

Les villes transfrontalières sont donc le témoignage vivant du fait que les frontières sont bien plus que de simples lignes imaginaires qui établissent les limites d’un pays. Les frontières évoluent, bougent, s’ouvrent ou se ferment. Elles redéfinissent constamment la situation et l’identité des villes qu’elles traversent. À la fois point de contact entre différentes cultures, témoignage de l’Histoire, ou besoin économique, ces villes transfrontalières occupent une place spéciale en géographie.

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