Citroën : l’audace à la française

Citroën, c’est un peu le Georges Méliès de l’automobile : un magicien de la mécanique, un as de l’innovation, et un roi de la com’. Depuis 1919, la marque française n’a cessé de faire vrombir les esprits, de la Type A à l’AMI, avec une bonne dose d’inventivité, de courage… et parfois d’obstination un peu loufoque.

Les années folles de l’automobile : la grande chevauchée d’André Citroën (1919-1945)

Tout commence en 1919. André Citroën, petit génie passé par Polytechnique et doté d’un flair commercial de brocanteur en or, décide de se lancer dans l’automobile. Il se dit : « Et si on fabriquait des voitures comme on fait des boîtes de conserve ? » Résultat : la Type A, première voiture européenne produite en série. On en vend 10 000 dès la première année. Pas mal pour une époque où les routes ressemblaient à des champs de bataille.

Dans les années 1920, Citroën n’a peur de rien. Il se met à vendre aussi bien des voitures que des plaques de signalisation (eh oui, autant indiquer aux clients où aller). Il fait écrire son nom en lettres géantes sur la Tour Eiffel, avec 250 000 ampoules. Et pour asseoir sa notoriété, il lance la même année de grandes expéditions comme la Croisière Noire, parce que visiblement vendre des voitures ne suffisait pas, il fallait aussi traverser le Sahara en chenillettes.

Mais tout n’est pas rose. La crise de 1929 arrive comme une panne d’essence en plein désert. Les ventes chutent, les finances déraillent. Pourtant, en 1934, Citroën sort la Traction Avant, une vraie révolution technique avec son moteur avant, sa structure monocoque et ses freins hydrauliques. Un ovni pour l’époque. Mais trop coûteux, trop ambitieux, et… trop en avance.

En 1935, la marque fait un tête-à-queue financier et est rachetée par Michelin, son principal créancier. André Citroën décède peu après. Une fin tragique pour un visionnaire qui a toujours roulé en première.

La tour Eiffel en 1925 avec la publicité lumineuse imaginée par André Citroën, étalant en hauteur son nom en lettres géantes - César Culture G.
La tour Eiffel en 1925 avec la publicité lumineuse imaginée par André Citroën, étalant en hauteur son nom en lettres géantes.

De la 2CV à la DS : la France sur quatre roues (1945-1976)

Après la Seconde Guerre mondiale, la France est à reconstruire… et à motoriser. En 1948, naît la 2CV, surnommée affectueusement la « Deuche ». Objectif : transporter un panier d’œufs sur un champ labouré sans en casser un. Résultat : une voiture aussi rustique qu’attachante, qui devient rapidement le véhicule préféré des curés de campagne, des étudiants fauchés et des amateurs de pique-niques champêtres.

Puis, changement de registre en 1955 avec la DS. Là, c’est du sérieux. Design futuriste, suspensions hydropneumatiques, direction assistée : elle a tout pour plaire. Même de Gaulle l’adopte — et lui doit probablement la vie lors d’un attentat où la voiture, malgré deux pneus crevés, continue sa route. Une diva à l’allure de vaisseau spatial qui fait rêver l’Amérique et jalouser les Allemands.

Dans les années 60, Citroën commence à avoir les yeux plus gros que le moteur. En 1968, elle rachète Maserati — parce qu’un peu de luxe italien, ça ne fait jamais de mal — pour concevoir la SM, une GT élégante et rapide, mais qui consomme autant qu’une raffinerie.

L’innovation reste au cœur de la marque. On tente des suspensions toujours plus molles, des designs toujours plus audacieux, des paris toujours plus fous. Mais l’ambition a un prix, et le choc pétrolier de 1973 finit par plomber l’ambiance. Trop de modèles, trop de dépenses, pas assez de rentabilité. La belle mécanique commence à tousser.

Ainsi, en 1976, Citroën fusionne avec Peugeot. Adieu l’indépendance, bonjour PSA.

Charles de Gaulle au Sénégal dans la DS 19 - César Culture G.
Charles de Gaulle au Sénégal dans la DS 19

Citroën avec Peugeot puis Stellantis : de l’hydropneumatique à l’électrique chic (1976 à aujourd’hui)

Le mariage avec Peugeot est compliqué. L’un veut innover, l’autre veut compter les sous. Résultat : des hauts et des bas, des chefs-d’œuvre et des oublis. Dans les années 80, la marque sort la BX, voiture de prof de techno, et la XM, navire amiral aux suspensions toujours plus floues. Mais les ventes restent solides.

Dans les années 90-2000, Citroën cherche sa voie : trop luxueuse pour les modestes, trop populaire pour les snobs. On tente le design funky avec la C3 Pluriel (transformable en cabriolet ou baignoire selon l’humidité), et la C6, limousine qui plait aux présidents… mais pas aux acheteurs.

Puis vient l’ère du retour au cool. Citroën retrouve sa fibre décalée avec des modèles comme la C4 Cactus (et ses fameux “airbumps” qui font coussins d’escalier), ou encore la C3 Picasso, monospace au look de pot de yaourt. Et en 2020, coup de théâtre : Citroën lance l’AMI, micro-voiture électrique sans permis. Un grille-pain à roulettes ? Peut-être. Mais un succès urbain, coloré, économique et malin. L’esprit Citroën, en version 2.0.

En parallèle, le centenaire de la marque en 2019 rappelle son incroyable héritage. Et en 2021, elle entre dans le giron du géant Stellantis, avec notamment Fiat et Jeep. Citroën continue alors de rouler à sa façon : ni tout à fait sérieuse, ni complètement excentrique. Mais toujours prête à surprendre.

L’Ami de Citroën, une voiture sans permis électrique - César Culture G.
L’Ami de Citroën, une voiture sans permis électrique

Citroën, c’est l’histoire d’un constructeur qui a souvent préféré la poésie mécanique à la rentabilité. Des idées folles, des voitures culottées, et une audace qui fait sourire — même quand ça cale. Un centenaire bien rempli, et toujours quelques tours dans son capot.

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