Le mont Blanc est-il français ou italien ?

Le mont Blanc, sommet mythique des Alpes, fait rêver depuis longtemps les alpinistes du monde entier. Avec ses 4805 mètres de hauteur, il représente le point culminant de l’Europe occidentale. Mais situé entre l’Italie et la France, l’emplacement exact de sa frontière continue d’alimenter un vieux débat entre les deux pays ! Si vous consultez Google Maps, vous y trouverez deux frontières différentes en pointillés. Pour les Italiens, le sommet du mont Blanc est partagé. Pour les Français, pas de débats, la montagne appartient exclusivement à la France. Du coup, la question se pose ! Qui détient réellement le mont Blanc ? Français, Italiens, ou un peu des deux ?

La première conquête du mont Blanc… et le début des frontières !

Le mont Blanc, avec ses 4805,80 mètres exactement, est donc considéré comme le toit de l’Europe. Depuis bien longtemps, il représente un défi de taille pour tous les passionnés de montagne. Dès le 8 août 1786, deux savoyards atteignent son sommet pour la première fois. Il s’agit de Jacques Balmat et Michel Paccard, tous deux partis de Chamonix qui est depuis naturellement associé au mont Blanc. 

Statue du guide Jacques Balmat indiquant le sommet du Mont Blanc à Horace Bénédict de Saussure à Chamonix 
Statue de Jacques Balmat indiquant le sommet du mont Blanc à Horace Bénédict de Saussure à Chamonix 

Mais à cette époque, le mont Blanc ne fait pas partie de la France. En effet, il appartient au duché de Savoie, lui-même intégré au royaume de Sardaigne. La question de sa souveraineté ne fait donc aucun débat, puisqu’aucune frontière ne traverse les Alpes. 

Mais les choses changent lors des guerres révolutionnaires menées par la France contre les autres puissances européennes à partir de 1792. En septembre de cette année-là, les troupes françaises annexent la Savoie qui devient le département français du mont Blanc. En 1796, après plusieurs victoires militaires contre le Royaume de Sardaigne, Napoléon fait reconnaître cette annexion par le traité de Paris. Pour la première fois, une frontière internationale traverse donc les Alpes. 

La question du tracé de la frontière se pose immédiatement, mais à cette époque, il n’existe pas de cartographie précise de la zone. La frontière suit donc naturellement la ligne de crête principale des Alpes, et passe donc par le sommet du mont Blanc.

Le département du Mont Blanc
Le département du mont Blanc

Mais lorsque Napoléon est battu en 1814, puis en 1815, un nouveau traité restitue ces territoires annexés à la Sardaigne. Une restitution qui durera quelque temps, avant que la question de l’unification italienne se pose et vienne tout chambouler. 

L’Italie s’unifie et la Savoie devient française

Dans le courant du XIXe siècle, le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II a un rêve. Il veut unifier l’Italie qui n’est alors qu’une mosaïque d’États disparates. Cette période, c’est ce qu’on appelle le Risorgimento, un mouvement politique et militaire visant à rassembler les terres italiennes sous une seule couronne. Sauf que du côté de l’Autriche-Hongrie, qui possède la Lombardie et la Vénétie, des terres “naturellement” italiennes, on ne voit pas cette unification d’un bon œil !

Les États italiens en 1843
Les États italiens en 1843

Pour atteindre son objectif, Victor-Emmanuel II, et son Premier ministre Cavour, vont alors négocier l’aide militaire de la France de Napoléon III. Pour obtenir le soutien de la France dans sa future guerre contre l’Autriche-Hongrie, le roi de Sardaigne promet alors de céder le comté de Nice et la Savoie à Napoléon III. 

Après la campagne d’Italie en 1859, qui voit les troupes sardes et françaises l’emporter sur les troupes austro-hongroises, les bases de l’unité italienne sont posées. Le royaume de Sardaigne récupère la Lombardie, même si Venise reste austro-hongroise. Qu’importe, il est maintenant temps pour Victor-Emmanuel II de tenir parole et de céder les territoires qu’il a promis à la France.

Le 24 mars 1860, chose promise, chose due ! Le traité de Turin officialise la cession de la Savoie et du comté de Nice à la France. Un plébiscite viendra même confirmer ce rattachement à la France quelques mois plus tard. À la question “La Savoie veut-elle être réunie à la France”, 99% des votes se prononcent pour le “oui”. La Savoie, et avec elle le mont Blanc, deviennent officiellement français.

Plaque commémorative du plébiscite dans le palais de justice de Chambéry
Plaque commémorative du plébiscite dans le palais de justice de Chambéry

Quand les cartes ne s’accordent pas

Avec ces bouleversements territoriaux, il devient donc indispensable de redessiner les frontières entre la France et l’Italie naissante. Et c’est là que ça se complique ! Une commission se charge alors d’établir la délimitation entre le territoire français et le territoire italien. 

Jean-Joseph Mieulet, capitaine de l’armée française, est alors chargé de cartographier le secteur du mont Blanc. C’est sur sa carte qu’apparaît pour la première fois, en 1865, un tracé selon lequel la frontière passe au sud du sommet, faisant du mont Blanc une montagne pleinement française. Ce tracé sera finalement repris à l’identique dans d’autres cartographies françaises, au point d’être considéré comme officiel. 

Cartographie du Massif du Mont Blanc par Jean-Joseph Mieulet
Cartographie du Massif du mont Blanc par Jean-Joseph Mieulet

Sauf que côté italien, on voit les choses un peu différemment ! Dans un atlas sarde édité en 1869, mais qui se base sur des relevés effectués avant le rattachement de la Savoie à la France, la frontière passe bien au sommet du mont Blanc. Pas en dessous. Pour eux, le sommet n’est pas que français, mais franco-italien

Extrait de l'Atlas sarde de 1869
Extrait de l’Atlas sarde de 1869

Dans les faits, ça ne change pas grand chose. D’ailleurs, il faudra plusieurs décennies pour que les autorités franco-italiennes se rendent compte de leur différence de jugement ! Loin des préoccupations politiques, le mont Blanc devient une attraction touristique majeure. Avec le développement de l’alpinisme, Chamonix devient par exemple une capitale mondiale de la discipline. Il faut dire que côté français, nous avons de la chance ! L’accès au mont Blanc y est plus facile que du côté italien. Dès 1955 par exemple, le téléphérique de l’Aiguille du Midi est construit pour offrir la plus belle des vues sur le mont Blanc. 

Avec le temps, le mont Blanc devient donc avant tout une fierté française et une vitrine touristique. Mais en 1988, la discorde commence..

1988 : Le mont Blanc fait débat

Le 20 avril 1988, à Nice, s’est réunie pour la première fois une commission mixte franco-italienne chargée de la maintenance du tracé de la frontière entre les deux pays. L’objectif est purement technique : ajuster certains repères et s’assurer que la délimitation est toujours respectée sur le terrain. Sauf que ce jour-là, les autorités françaises et italiennes vont constater que leurs cartes sont légèrement différentes. 

En réalité, ce n’est pas un, mais trois désaccords qui émergent : un sur le mont Blanc comme on l’a vu, mais aussi un sur le Glacier du Géant, et un autre sur le Dôme du Goûter. Très vite, la commission constate que le problème n’est pas de son ressort. Elle fait donc remonter l’information aux ministères des Affaires étrangères des deux pays. 

Les trois points de désaccord sur la frontière entre la France et l’Italie
Les trois points de désaccord sur la frontière entre la France et l’Italie

Paris et Rome vont alors se replonger dans les détails du Traité de Turin signé en 1860. Le problème, c’est que la carte officielle du traité de 1860 a mystérieusement disparu, probablement perdue dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande. Les Italiens, eux, ont une copie de la carte en question. Sauf que de nouveau, il y a un problème ! La carte est imprécise et il existe même des doutes sur son authenticité. Les autorités françaises la jugent donc irrecevable. 

Alors que faire ? Malgré des échanges diplomatiques qui ont continué, les deux pays campent sur leurs positions. Côté italien, on brandit la carte sarde de 1869. Côté français, on préfère se baser sur la carte du capitaine Mieulet de 1865. Depuis, c’est le statu quo.

Tourisme, écologie, frontière : la bataille du mont Blanc continue

Techniquement, ce différend frontalier n’a longtemps posé aucun problème. En tout cas, ça n’en a pas posé jusqu’en 2015 ! Cette année-là, du côté de Courmayeur, les Italiens inaugurent un nouveau téléphérique : le Skyway Monte Bianco. Concurrent direct du téléphérique de l’Aiguille du Midi côté français, ce nouveau téléphérique ultra moderne amène les visiteurs jusqu’au Glacier du Géant, l’une des trois zones contestées entre la France et l’Italie. 

Cabine du Skyway Monte Bianco avec le Mont Blanc en arrière plan
Cabine du Skyway Monte Bianco avec le mont Blanc en arrière plan

En réaction, le maire de Chamonix fait placer une barrière pour sécuriser l’accès au fameux glacier. Une décision vivement critiquée par le maire de Courmayeur, de l’autre côté de la frontière, qui y voit une ingérence française sur le sol italien. 

Nouvel incident diplomatique en 2020, lorsque la France annonce la création d’une “zone protégée” qui s’étend sur une partie des fameux territoires contestés ! Pourtant l’idée derrière la protection de cette zone reste louable. Le mont Blanc, gravit par environ 20 000 personnes chaque année, souffre de cette suractivité touristique. Des dégradations, de la pollution, voire même des accidents pourraient mettre en péril ce milieu naturel fragile. Mais une fois de plus, l’Italie voit cette mesure comme une tentative de s’approprier la zone. 

Depuis, la France et l’Italie n’ont toujours pas trouvé de solution pour régler ce vieux conflit frontalier. Les deux pays continuent donc de se disputer la zone, faisant du sommet du mont Blanc le dernier différend territorial de la France métropolitaine !

Vue du Mont Blanc

Depuis plus d’un siècle et demi, Français et Italiens campent sur leurs positions, chacun défendant son tracé de la frontière du mont Blanc. Si ce différend n’a jamais entraîné de véritable crise diplomatique, il ressurgit régulièrement, alimenté par des enjeux touristiques, environnementaux et symboliques. Mais au-delà des tensions, une coopération reste possible. La preuve : la France, l’Italie et la Suisse travaillent ensemble sur une candidature commune pour inscrire le mont Blanc au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un projet qui montre que, bien plus qu’un enjeu de souveraineté nationale, le toit de l’Europe est avant tout un trésor naturel et culturel à préserver collectivement. Peut-être est-ce là la véritable réponse à ce vieux différend : un sommet qui, plutôt que de diviser, rassemble.

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