Salvator Mundi : L’histoire folle du tableau le plus cher du monde

Le 15 novembre 2017, dans une salle comble du Christie’s de New York, a eu lieu l’une des ventes aux enchères les plus marquantes de l’Histoire. Ce jour-là, une toile représentant le Christ est adjugée aux enchères pour la somme vertigineuse de 450,3 millions de dollars, faisant d’elle la peinture la plus chère jamais vendue. Son nom ? Salvator Mundi. Son auteur présumé ? Un certain Léonard de Vinci. Son histoire, en revanche, est bien plus tumultueuse qu’un simple tableau. Longtemps disparue, puis restaurée, disputée et controversée, cette œuvre d’art est devenue l’un des plus grands mystères de l’histoire de la peinture. Revenons donc ensemble sur le destin hors du commun du Salvator Mundi. 

Les origines incertaines du Salvator Mundi

Le Salvator Mundi, “sauveur du monde” en latin, est donc une représentation de Jésus Christ que l’on retrouve souvent dans l’iconographie chrétienne. Jésus y est représenté donnant sa bénédiction de la main droite, et tenant un orbe dans la main gauche. 

Le Salvator Mundi, par Léonard De Vinci (?)
Le Salvator Mundi, par Léonard de Vinci (?)

Ce tableau est donc attribué à Léonard de Vinci, qui l’aurait peint vers 1500, à la même époque que son très célèbre tableau de la Joconde. Toutefois, l’origine de l’œuvre a fait, et fait encore débat. Contrairement aux autres tableaux du peintre italien, le Salvator Mundi ne bénéficie pas d’une documentation solide pour prouver son authenticité. Pour certains experts, il pourrait s’agir d’un tableau peint dans son atelier par l’un de ses disciples, un des leonardeschi. 

Plusieurs éléments appuient cette théorie. En 1524, cinq ans après la mort de de Vinci, un tableau du Christ est mentionné dans un inventaire d’Andrea Salai, l’un des leonardeschi. Le tableau y est décrit comme une copie, tout comme la Joconde du Prado par exemple, reproduction de l’original réalisée par l’un des disciples. Les spécialistes font alors le lien avec le Salvator Mundi. D’autres y voient une référence à un autre tableau peint par Salai en 1511, et qui ressemble beaucoup au Salvator Mundi.

Le Christ, par Andrea Salai, 1511.
Le Christ, par Andrea Salai, 1511.

Malgré le flou autour de son origine et de son attribution, le Salvator Mundi réapparaît en Angleterre au XVIIe siècle. Il aurait appartenu au roi Charles Ier d’Angleterre, probablement apporté par son épouse, Henriette-Marie de France, fille d’Henri IV. Mais le tableau disparaît à la suite de la dispersion de la collection du roi d’Angleterre, après la révolution de Cromwell en 1649. Il reste alors introuvable pendant plus de deux siècles.

Une redécouverte digne d’un roman

En 1900, un collectionneur anglais du nom de Francis Cook achète un tableau attribué à Bernardino Luini, l’un des élèves de De Vinci. Mais la peinture est dans un sale état. Le tableau est abîmé, balafré, et le visage et les cheveux du Christ ont été largement repeints. 

Dans les catalogues de la Cook Collection, on décrit le tableau comme une copie libre réalisée par Beltraffio, autre élève de De Vinci. Ayant perdu toute sa valeur du fait de son état, Francis Cook le cède en 1958 à un collectionneur américain pour la modique somme de 45 livres sterling. Puis, le tableau disparaît à nouveau pendant presque 50 ans. 

Mais, en 2005, coup de théâtre ! Deux marchands d’art new-yorkais, Robert Simon et Alexander Parish, achètent le tableau 1 175 dollars lors d’une vente aux enchères. La peinture n’a alors plus rien à voir avec sa version originale. On la décrit comme une “épave, sombre et lugubre”. Mais sous les couches de repeints et les tentatives de restaurations maladroites, les deux collectionneurs new-yorkais entrevoient le potentiel exceptionnel de cette œuvre d’art. 

L’état du Salvator Mundi après nettoyage en 2006.
L’état du Salvator Mundi après nettoyage en 2006.

Après mûre réflexion, ils décident de confier la restauration du tableau à une grande experte du domaine. Dianne Dwyer Modestini, spécialiste en conservation de l’art à l’Université de New-York, s’occupe donc de restaurer le Salvator Mundi. Elle remet au goût du jour des détails fascinants du tableau, notamment l’utilisation de la technique du sfumato. Cette technique, propre à Léonard de Vinci qui a théorisé son usage, consiste à superposer plusieurs couches de peintures extrêmement fines, quasi translucides, donnant au sujet des contours imprécis. C’est notamment cette technique qui donne à la Joconde son aura si mystérieuse.

Progressivement, l’hypothèse selon laquelle ce tableau serait bien l’œuvre du maître florentin prend de l’ampleur.

Restauration et expertise

Après sa longue restauration, les propriétaires du tableau décident de le soumettre à des expertises pour l’authentifier. Les plus grands experts au monde se rassemblent donc pour analyser le tableau en profondeur, pour confirmer ou non qu’il s’agit bien d’un tableau de Léonard de Vinci. Le Salvator Mundi est alors comparé à d’autres tableaux du peintre italien, notamment La Vierge aux rochers

La Vierge aux rochers, par Léonard De Vinci. 
La Vierge aux rochers, par Léonard de Vinci. 

Martin Kemp, un historien de l’art britannique à Oxford et spécialiste de Léonard de Vinci, et Pietro Marani, grand spécialiste de la Renaissance qui a notamment supervisé la restauration de La Cène, sont alors convaincus. Pour eux, il s’agit bien d’un de Vinci

Beaucoup d’autres experts se montrent cependant bien plus sceptiques. Certains d’entre eux n’ont jamais voulu se prononcer sur la question de la paternité de l’œuvre. Carmen Bambach, historienne de l’art américaine, spécialiste de la Renaissance et experte reconnue de de Vinci, attribue le tableau à Beltraffio

Mais peu à peu, et malgré les critiques, un consensus se forme pour attribuer le Salvator Mundi à de Vinci. Le tableau est alors présenté au public en 2011 lors d’une exposition à la National Gallery de Londres. Les experts restent divisés, mais le prestige de l’exposition renforce sa crédibilité. 

Avec cette nouvelle popularité, une question se pose. Que faire de ce tableau maintenant qu’il est devenu un trésor ? Robert Simon et Alexander Parish, ses propriétaires, décident alors de le vendre. Dmitri Rybolovlev, milliardaire russe qui possède notamment l’AS Monaco, décide en 2013 de s’offrir ce nouveau de Vinci sorti de nulle part. Pour cela, il débourse la somme de 127,5 millions de dollars. Bien loin des 45 £ de 1958..

Le tableau le plus cher du monde 

Après cette vente, un scandale éclate lorsque Dmitri Rybolovlev réalise que Yves Bouvier, un homme d’affaires et marchand d’art suisse qui a joué les intermédiaires dans la vente, a en réalité acheté le tableau lui-même pour “seulement” 83 millions de dollars. Bouvier a ensuite revendu le tableau à l’oligarque russe, réalisant une plus-value à plus de 40 millions de dollars. Et cela, sans que ce dernier ne soit au courant. Une affaire qui se réglera finalement devant les tribunaux.

Dmitri Rybolovlev et Yves Bouvier
Dmitri Rybolovlev (gauche) et Yves Bouvier (droite).

Après ces démêlés judiciaires, l’oligarque russe décide de se séparer de son tableau. Christie’s, qui s’occupe de la vente, en fait un événement au retentissement mondial. Des expositions ont lieu à San Francisco, à Londres, puis à Hong Kong. Christie’s essaye de faire croire que les experts sont unanimes sur la paternité de de Vinci. Mais à l’approche de la vente, des critiques fusent. 

Malgré cela, le 15 novembre 2017, au Rockefeller Center de New York, la vente a bien lieu. Et contre toutes attentes, les enchères dépassent très largement l’estimation de départ fixée à 70 millions de dollars. Après une bataille acharnée entre plusieurs acheteurs anonymes, le marteau tombe sur un prix historique : 450,3 millions de dollars. Record battu pour le Salvator Mundi qui devient le tableau le plus cher jamais vendu. 

La vente du Salvator Mundi par Christie’s
La vente du Salvator Mundi par Christie’s

Si son acquéreur reste un temps inconnu, plusieurs sources révèlent qu’il s’agirait de Mohammed ben Salman, le prince héritier de l’Arabie Saoudite. Mais, depuis sa vente, le mystère persiste. 

Où est le Salvator Mundi aujourd’hui ?  

Depuis cette vente record, le Salvator Mundi a disparu. Contrairement aux autres chefs-d’œuvre achetés à prix d’or et exposés dans les musées les plus prestigieux de la planète, le tableau n’est jamais réapparu depuis son achat. Initialement annoncé comme un cadeau diplomatique au Louvre d’Abou Dhabi, il ne figure toujours pas dans ses collections. Pire encore, deux semaines avant d’être exposé comme annoncé, l’exposition fut annulée sans date de report, et sans explications précises. 

Depuis, les rumeurs vont bon train. Certains estiment qu’il demeure caché dans l’un des palais de Mohammed Ben Salman. En juin 2019, le magazine américain Artnews prétend savoir que le tableau se trouverait à bord du Serene, un yacht de luxe appartenant au prince héritier saoudien. D’autres supposent qu’il se trouverait dans un lieu secret en attendant une réapparition spectaculaire.

Le Serene abrite-t-il le Salvator Mundi ? 
Le Serene abrite-t-il le Salvator Mundi ? 

Mais plus troublant encore, la question de son authenticité continue d’alimenter les débats. En 2019, le Musée du Louvre de Paris aurait souhaité le présenter lors de l’exposition marquant les 500 ans de la mort de de Vinci. Mais le plus célèbre musée du monde voulait le présenter comme une œuvre “attribuée à l’atelier de Léonard de Vinci” plutôt que comme un tableau entièrement de sa main. Un choix qui aurait poussé son propriétaire à craindre une exposition qui s’accompagnerait forcément de débats, en plus de se couvrir de ridicule pour avoir dépensé autant d’argent pour un de Vinci qui n’en est pas un. 

Quoi qu’il en soit, le mystère continue de sévir. Le Salvator Mundi est-il vraiment l’ultime chef-d’œuvre de Léonard de Vinci ? Où se trouve-t-il aujourd’hui ? Incontestablement, ces incertitudes participent à le doter d’une aura fascinante qui continuera de faire couler beaucoup d’encre. 

Le Salvator Mundi est donc bien plus qu’un simple tableau très cher. Il incarne à la fois le génie de l’art de la Renaissance, les mystères qui entourent encore Léonard de Vinci, et les dérives du marché de l’art et des grandes fortunes de ce monde. Son histoire, digne d’un roman d’espionnage, ne cesse de passionner. Chef-d’œuvre ou simple produit de spéculation ? Une seule certitude : tant que son sort restera incertain, le Salvator Mundi continuera d’alimenter les fantasmes et les polémiques.

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