Tout savoir sur La Grande Vague de Kanagawa par Hokusai

Une vague d’un bleu profond, prête à s’abattre sur trois petits bateaux de pêcheurs tandis qu’en arrière-plan, la silhouette enneigée du Mont Fuji se distingue. Il s’agit bien sûr de la célèbre Grande Vague de Kanagawa, réalisée autour de 1830 ou 1831 par l’artiste japonais Hokusai. Vous l’avez forcément déjà vue, mais saviez-vous pourquoi cette estampe est-elle si iconique ?

La Grande Vague de Kanagawa par Hokusai — exemplaire du Metropolitan Museum of Art : Domaine public

Avant La Grande Vague, le boom artistique de l’ère Edo

Pour comprendre l’impact de la Grande Vague sur l’art japonais, nous devons repartir quelques siècles en arrière. En 1603, le Shogunat Tokugawa prend le contrôle de l’archipel Japonais dans son ensemble, après des siècles de guerre civile. 

La bataille de Sekigahara, en 1600, amène à la mise en place du Shogunat Tokugawa. Ce panneau nous montre l’art graphique japonais tel qu’il était de mise à l’époque : avec une perspective isométrique, le spectateur est placé en vue aérienne et lointaine. Domaine public

La capitale Tokyo, à l’époque nommé Edo, donne donc son nom à cette ère qui voit s’apaiser les tensions entre les différents seigneurs féodaux de l’île. Mais cette paix est fragile, et une nouvelle menace pèse sur la société japonaise, celle de la colonisation européenne. Les influences extérieures, notamment catholiques, sont vues comme une menace. C’est pourquoi le pays cherche à s’isoler par tous les moyens – notamment par l’expulsion de tous les étrangers, comme les jésuites installés depuis plusieurs siècles sur l’archipel.

Dans une société fractionnée et divisée en classes sociales très strictes, la population non-noble n’a que très peu de moyens de s’extraire de la misère. Mais maintenant que la paix règne, à Edo, la période permet petit à petit aux marchands de s’enrichir et d’agrémenter leur train de vie de voyage, d’art, ou encore d’apprentissages.

L’estampe Ukiyo-e, l’art du monde flottant

A Edo, les riches marchands sont à la recherche d’un plaisir constant, une contemplation de l’instant présent. Entre les lieux où ils peuvent s’adonner aux plaisirs charnels, les théâtres Kabuki et les restaurants à foison, les rues d’Edo ont de quoi vider les poches des plus riches bourgeois.

L’Ukiyo-e est avant tout utile pour dresser le portrait des célébrités – ici, un acteur de théâtre Kabuki. domaine public

Une nouvelle forme d’art fait son apparition, l’estampe Ukiyo-e. Plus simple que la peinture, l’estampe offre aussi l’avantage d’être très facilement reproductible, permettant sa diffusion et son accessibilité aux quatre coins de l’archipel. Pendant plusieurs décennies, l’Ukiyo-e se perfectionne, diffusant tour à tour les portraits de célébrités ou les scènes de la vie quotidienne. Un riche marchand qui se respecte doit avoir une collection d’estampes respectables, un signe extérieur de richesse indispensable.

Hokusai, artiste englouti par la grande vague de la vie

Katsushika Hokusai naît en 1760, en plein cœur de l’ère Edo. Orphelin, il survit en peignant des portraits de jeunes acteurs de Kabuki, et se forme auprès des artisans d’Edo, tout en étudiant les styles plus classiques. De ses premiers succès, Hokusai se paie le luxe de voyager à travers l’archipel, et diversifie ses talents. Des portraits, il passe aux images érotiques, puis illustre une encyclopédie imagée du Japon.

A soixante ans, son travail est devenu parmi les réputés de l’archipel. Sa carrière décolle enfin pour de bon, et il se voit sollicité pour de nombreux projets d’illustration. Mais du côté personnel, Hokusai n’a pas la vie simple. En quelques années, il perd son épouse et deux de ses enfants. Il est frappé par la foudre, et souffre d’un arrêt cardiaque, le forçant à réapprendre entièrement le dessin. Il entame alors la phase la plus aboutie de sa carrière, et comme lui-même le souligne : “je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans.” 

En 1829, Hokusai découvre le Bleu de Prusse, un colorant bleu profond importé de Chine. L’Aizuri-e, considéré comme le premier colorant synthétique moderne, est aussi très résistant aux épreuves du temps. Comme tout un symbole, l’artiste se servira allègrement de ce pigment afin de réaliser la série d’estampes la plus importante de sa vie – et de l’histoire de l’art Japonais – les Fugaku Sanjūrokkei ou les Trente-six vues du mont Fuji.

Les 36 vues du Mont Fuji

Le Mont Fuji est un lieu essentiel pour tout japonais vivant à l’ère Edo. Outre sa force spirituelle, ce monument indissociable du paysage japonais est un lieu représentant parfaitement la nouvelle prospérité de l’archipel. Des quatre coins du pays, les marchands et bourgeois affluent en pèlerinage et, bien entendu, se ruent sur les estampes d’Hokusai, sortes de cartes postales avant l’heure.


Enormément reproduite à travers le monde, vous avez forcément déjà vu La Grande Vague quelque part ! Saviez-vous qu'elle a inspiré le logo de la marque Quiksilver ? Une bonne petite anecdote à ressortir en dîner mondain ça.
Enormément reproduite à travers le monde, vous avez forcément déjà vu La Grande Vague quelque part ! Saviez-vous qu’elle a inspiré le logo de la marque Quiksilver ? Une bonne petite anecdote à ressortir en dîner mondain ça.

En 36 vues différentes, (en vérité 46, puisque l’auteur s’est permis d’en ajouter 10 en bonus) Hokusai nous montre le mont Fuji, certes, mais bien souvent dans l’arrière-plan de la vie de ce Japon pacifié. A travers les forêts, les lacs, ou les travaux de la vie quotidienne, la série d’estampes offre un panorama à 360° de la société nippone de 1830. La série se veut novatrice, car elle permet une véritable évolution de l’esthétique de l’ukiyo-e. Dans ce nouveau style, nous retrouvons des paysages cadrés à l’horizontal et l’utilisation de la perspective, ce qui se rapproche d’un art plus occidental.

La Grande Vague, ou l’image d’un futur incertain

La plus saisissante de ces 36 estampes est indéniablement celle de la Grande Vague de Kanagawa, la plus connue des œuvres du maître. La scène représente 3 barges de pêcheurs prises au piège d’une très forte tempête. Le Mont Fuji, identifiable en arrière-plan, nous indique que les pêcheurs se trouvent au large de Tokyo. Leurs barques naviguant vers l’Est, ils retournent donc manifestement bredouilles au port de la capitale. Ces détails ont leur importance : dans ce pays insulaire, isolé, la vague menaçante est le monde extérieur. Cette interprétation, combinée au choix de perspective, nous offre donc un tout petit Mont Fuji, le symbole de la prospérité, prêt à se faire engloutir par les menaces extérieures.

La Grande Vague de Kanagawa serait donc l’allégorie de la crainte d’une disparition du Japon tel que Hokusai l’a connu toute sa vie. Et pour cause : à peine 30 ans plus tard, les crises économiques mettent fin à la prospérité, au Shogunat, et à l’isolation de l’archipel. Le Japon se transforme en un Empire militaire puissant et expansionniste, prêt à tout pour maintenir son hégémonie sur la région.

De l’utilisation du bleu de Prusse à celle de la perspective linéaire, la Grande Vague de Kanagawa est avant tout l’union parfaite d’un art traditionnel qui se voit revisité par les influences extérieures – un exemple parfait de la nécessité d’ouvrir son art au reste du monde afin de le perfectionner. Une nécessité que Hokusai aura mis plus de 70 ans à comprendre, puisqu’il mourra en 1849, à l’âge de 88 ans.

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