Le tremblement de Terre du Kanto

Il y a 100 ans se déroulait le tremblement de terre du Kantō

En septembre 2023, le peuple nippon honorait le centenaire de l’une des catastrophes les plus marquantes de l’histoire du Japon. Cet épisode est parfois éclipsée des mémoires collectives par la Seconde Guerre mondiale et ses deux bombes atomiques, ou d’autres évènements comme le séisme de 2011. Mais le tremblement de terre du Kantō de 1923 a bel et bien marqué de nombreuses familles japonaises.

La riche plaine du Kantō ravagée

Située au centre de la principale île de l’archipel japonais, la plaine du Kantō attire depuis plusieurs millénaires l’agriculture et le développement des villes japonaises. Depuis quelques siècles, les industries y sont florissantes, car la région est l’une des seules du pays à ne pas être montagneuse, et dotée d’un accès à l’océan pacifique.

La plaine abrite essentiellement aujourd’hui la mégalopole Tokyoïte, capitale du Japon, qui recensait en 1923 près de 8 millions d’âmes. En passe de devenir le fleuron industriel et de l’extrême Orient, la ville se hisse au niveau économique des Londres, New-York ou Paris d’entre-deux guerres.

Il est 11h58, le 1er septembre 1923, lorsque la plaine du Kantō se met à trembler. D’une puissance record, le tremblement de terre fait sauter les aiguilles des sismographes qui ne sont pas conçus pour endurer une telle violence. On en estimera plus tard la magnitude à 7,9 sur l’échelle de Richter, suivi de deux répliques au moins aussi puissantes.

 Nihonbashi et Kanda, 15 jours après le séisme. Par Osaka Mainichi newspaper — Domaine public
 Nihonbashi et Kanda, 15 jours après le séisme. Par Osaka Mainichi newspaper — Domaine public

Tremblement de terre doublé d’un typhon : la malchance du Kantō

Au total, le nombre de victimes à déplorer se situe entre 150 000 et 200 000 morts, ainsi que plus de 2 millions de sans-abri. Ce bilan dramatique s’explique en partie par l’heure à laquelle le séisme frappe la ville : alors qu’approche l’heure du déjeuner et que les travailleurs se massent dans les rues et les restaurants, la soudaineté de la catastrophe force les familles à fuir leur habitation, tout en laissant leur plat sur le feu. La ville, constituée en majorité d’habitations en bois dont les sols sont des tatamis, s’embrase comme un feu de paille.

Comble de malchance, un typhon fait rage dans les eaux du Pacifique et renforce les vents dans la région, créant de véritables tornades enflammées et propageant encore plus l’incendie aux 4 coins de la mégalopole : Yokohama, Chiba, Saitama… Des feux incontrôlables éclatent dans toute l’agglomération, et la panique crée des effets de masse. De nombreux habitants se retrouvent dans des voies sans issue, piégés dans des rues étroites. Tokyo est une ville où les espaces verts se font rares. Certains tentent de se sauver en sautant dans les canaux et les rivières, mais la chaleur est telle qu’ils meurent ébouillantés par l’eau, ou asphyxiés par les fumées.

Côté matériel, la ville de Tokyo n’est plus qu’un champ de ruines. 80% de la mégalopole est rasée, avec plus de 3 millions de bâtiments détruits. Le Ryōunkaku, littéralement la Tour surpassant les nuages, s’est effondré. Cette tour, premier gratte-ciel japonais construit en 1890, était l’attraction touristique la plus populaire de la ville, et un symbole de sa nouvelle modernité.

L'effondrement du Ryōunkaku, Domaine public
L’effondrement du Ryōunkaku, Domaine public

Le bilan du séisme envenimé par des tensions ethniques

Mais si les témoignages du séisme du Kantō en font l’un des cataclysmes les plus violents jamais connu par l’Homme, c’est aussi en raison des événements survenus les jours suivant la catastrophe.

Il faut noter que la société japonaise impériale est bien différente de celle d’aujourd’hui. Expansionniste, l’empire du Japon profite d’une hégémonie sur le Pacifique, et fait affluer la main-d’œuvre de Corée, de Chine ou des îles Okinawaises. Les tensions sont fortes entre les japonais de souche et les ethnies immigrées qui servent de boucs émissaires. Dans les jours suivants le drame, de nombreuses rumeurs se développent, accusant les étrangers d’avoir tour à tour provoqués ou profités de la catastrophe.

Dès le 3 septembre, dans les rues dévastées ou les camps de fortune, ces rumeurs mettent le feu aux poudres. Des milices improvisées se forment et s’arment afin de protéger la population – bien souvent, elles profitent du chaos afin de mener des massacres arbitraires. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se voient assassinés sur la base de prétendus vols des décombres, de l’empoisonnement de puits, ou tout simplement pour avoir prononcé un mot avec un accent étranger.

Yokohama complètement rasée - Domaine Public
Yokohama complètement raséeDomaine Public

Comment l’État a profité du tremblement de terre ?

Les forces de l’ordre japonaises, elles aussi, profitent du chaos général pour régler leurs comptes. Fermant d’abord les yeux sur les massacres, la police militaire impériale commet une série d’assassinats politiques, visant divers opposants socialistes ou anarchistes. Leur objectif : parer à un éventuel coup d’État. Officiellement, ces exactions et leur bilan resteront longtemps secrètes et cachées par les autorités nippones, mais on estime que ces massacres auront fait environ 6000 victimes.

En 1923, la société japonaise se voit donc marquée par ce tremblement de terre exacerbant les limites de son mode de vie, et de son développement effréné. Le modèle impérial et colonial japonais, déjà remis en question par une partie de la population, ne sera véritablement abandonné qu’après les traumatismes de la 2nde Guerre Mondiale, cristallisés par les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, 22 ans plus tard.

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