Le 8 mai 1927, Charles Nungesser et François Coli, deux as de l’aviation française à la popularité hors norme, embarquent à bord de l’Oiseau Blanc. Ce biplan, construit pour l’occasion, doit être le premier avion à rallier Paris à New York, et donc le premier à réaliser une traversée de l’Atlantique sans escale. Le 9 mai 1927, le journal La Presse titre fièrement “Nungesser et Coli ont réussi”, annonçant l’atterrissage des deux aviateurs à New York. Le problème c’est que les deux français n’arriveront jamais en Amérique..
La France à la pointe de l’aviation
Nous sommes donc en 1927 lorsque l’Oiseau Blanc est sur le point de prendre son envol. Cela fait plusieurs années que la course dans le domaine de l’aéronautique inspire les Hommes à repousser les limites de ce qu’un avion est capable de faire. Les années 1920 incarnent le développement pacifique de l’aviation. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui a activement participé à la démocratisation de l’aviation, des aviateurs vont tenter de montrer son utilité ailleurs que dans le domaine militaire.
Pour ce faire, les aviateurs tentent d’établir de nouveaux records de vitesse, de distance ou d’altitude. Et les Français ne sont pas en reste dans ce domaine. Bien décidés à prouver qu’ils sont supérieurs aux concurrents allemands et anglais dans le domaine, les aviateurs français vont être les premiers à tenter certaines traversées. En 1909, Louis Blériot est le premier à traverser la Manche en avion. En 1913, Roland Garros traverse la Méditerranée.
Le prochain grand défi de l’aviation est donc l’Atlantique. Raymond Orteig, un riche homme d’affaires américain d’origine française, décide en 1919 d’offrir 25 000 dollars au premier aviateur qui parviendra à rallier Paris à New York dans les cinq années qui suivent. La course est donc lancée. Malgré des tentatives, en 1924, aucun aviateur n’a su relever le défi. Orteig renouvelle donc son offre.
Nungesser et Coli: Deux As pour un exploit
François Coli est un vétéran de la Première Guerre mondiale, décoré de la Légion d’honneur pour ses exploits. En 1924, Coli a déjà plusieurs vols historiques à son actif. En 1919, il bat le record de distance en ligne droite. Depuis 1923, Coli travaille sur un vol transatlantique et participe au défi de Raymond Orteig. C’est à ce moment que Charles Nungesser le contacte. As de l’aviation française durant la Grande Guerre, Nungesser est un des militaires les plus décorés de l’histoire française. Lui aussi travaille sur un vol visant la traversée de l’Atlantique, et il a besoin d’un copilote expérimenté. Les deux hommes se lancent alors pleinement dans le projet.
L’objectif officiel des deux aviateurs est de relier Paris et New York, et ainsi établir un nouveau record de distance parcourue en un seul vol. Pour ce faire, ils vont participer activement à l’élaboration de l’avion qui va leur permettre de réaliser l’exploit.
Dans les années qui ont précédé ce projet, François Coli s’est spécialisé dans la navigation astronomique et en météorologie. C’est donc lui qui s’occupe d’établir le plan de vol. Après le décollage à Paris, l’Oiseau Blanc se dirigera vers l’Angleterre, traversant la Manche. Il survolera par la suite le Sud et l’Ouest de l’Angleterre, puis l’Irlande. Démarre ensuite la traversée de l’Atlantique, jusqu’au survol de Terre-Neuve et de la côte canadienne, pour descendre progressivement vers New York. L’arrivée se terminera par un amerrissage dans l’Upper Bay, devant la statue de la Liberté. La symbolique parfaite.
En mai 1927, l’avion est prêt et a déjà été testé plusieurs fois. Le 7 mai, toutes les conditions météorologiques sont favorables. Le décollage aura lieu le lendemain. L’Oiseau blanc décolle de l’aéroport du Bourget à 5h18, avec une arrivée prévue le lendemain, 9 mai, après 30 à 35 heures de vol.
“Nungesser et Coli ont réussi”… ou pas.
Dans les premières heures, l’Oiseau Blanc se fait escorter par quatre autres avions. Le biplan vole à basse altitude, environ 200 mètres au-dessus du sol. Les foules se sont donc amassées dans les villes survolées par l’Oiseau Blanc dans l’espoir de l’apercevoir.
Car oui, en raison de la personnalité et du passé des deux hommes et de la force de l’enjeu, la préparation de cette traversée a été très fortement médiatisée. Et cela des deux côtés de l’Atlantique. Pour preuve, une importante foule s’est réunie à New York pour attendre l’arrivée des deux français. En France, beaucoup de journaux nationaux ont suivi intensément chaque étape du projet. Le Petit Journal, La Presse, Le Petit Parisien, ou encore Le Matin.. Le projet passionne les foules, les journaux sont donc au rendez-vous.
C’est alors une véritable course au scoop qui se met en place. En France, l’Oiseau Blanc est vu pour la dernière fois au-dessus des falaises d’Etretat. Pour la suite du vol, les journalistes devront passer par des Anglais ou des Irlandais sur place pour espérer récolter quelques informations avant les journaux concurrents. Un sous-marin anglais aperçoit l’avion, ce qui confirme qu’il a réussi à traverser la Manche. Deux Irlandais confirment également l’avoir vu près des côtes irlandaises. Ils indiquent donc que les deux Français étaient sur le point d’entamer la traversée de l’Atlantique.
Après ça, plus rien n’est sûr.. Des rumeurs indiquent qu’ils auraient été aperçus sur les côtes de Terre-Neuve, puis près des côtes américaines. Sur la base de ces rumeurs, pour certains journalistes c’est maintenant sûr: Nungesser et Coli vont réussir.
En France la course à l’exclu atteint son paroxysme ! Quel journal annoncera la bonne nouvelle en premier ? Tout le monde attend avec impatience la dépêche venue de New York. Une fois la confirmation de l’arrivée des deux hommes reçue, les journaux pourront alors lancer leurs tirages, et bien sûr, vendre le plus de papier possible. L’enjeu est très grand pour les journaux, au vu de la passion qu’accordent les français à cette histoire.
Fake news !
Et c’est finalement le journal La Presse qui annonce en premier l’arrivée des deux Français à New York dans son édition du soir. Une pleine page titrée “Nungesser et Coli ont réussi”. La Presse se paie même le luxe d’annoncer l’heure exacte de leur arrivée dans un article qui détaille l’accueil triomphal accordé aux deux héros. Il y a juste un problème: L’Oiseau Blanc n’est pas arrivé à New York, et il n’y arrivera jamais. Au fil des heures, l’euphorie New Yorkaise laisse place à l’angoisse, puis à l’horreur. L’Oiseau Blanc avait une autonomie de 40 heures. Une fois ce délai dépassé, il faut se rendre à l’évidence. Les deux hommes ont disparu.
Alors évidemment, les fausses informations, les “fake news”, ont toujours existé. Cependant, la notion de “fausse nouvelle”, c’est-à-dire une information délibérément faussée et destinée à se répandre au sein du public dans un but mercantile, politique ou idéologique, est liée à l’émergence des médias, puis à leur massification, notamment dans les années 1920. Le journal La Presse paiera le prix fort pour son bidonnage. Si cette fausse information leur vaut le plus grand tirage de leur histoire, le revers de la médaille sera violent. Le lendemain, alors que la population prend peu à peu conscience du sort tragique de ses deux héros, les locaux du journal La Presse, rue Montmartre à Paris, sont saccagés en représailles.
Aujourd’hui encore, la disparition de l’Oiseau Blanc reste un des plus grands mystères de l’aviation. Malgré plusieurs décennies de recherches, personne ne retrouva jamais l’avion. La piste privilégiée reste celle d’un crash dans l’océan. Au-delà du tragique, cette histoire montre que la course aux scoops, à l’exclusivité, ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 1927, les journaux étaient capables d’inventer l’information pour vendre. Double peine pour la France, puisque deux semaines après la disparition de l’Oiseau Blanc, l’Américain Charles Lindbergh sera le premier à réussir la traversée dans l’autre sens.