Steinway Tower: Pourquoi les gratte-ciel sont de plus en plus fins ?

La Steinway Tower, nouveau building new-yorkais inauguré en 2021, ne cesse de passionner avec son design très atypique, et surtout sa “minceur” qui dénote dans le paysage de New York. Situé dans un quartier de Manhattan au bord de Central Park, ce gratte-ciel de 435 mètres de haut est devenu le plus étroit du monde avec une largeur de 18 mètres sur 24. Mais au-delà de son style particulier, se cachent en vérité des raisons bien précises qui expliquent d’où viennent ces immeubles d’une nouvelle forme. Car oui, la Steinway Tower n’est pas le seul building étroit à être sorti de terre. Depuis 2014, une nouvelle forme de gratte-ciel fleurit à New York. Voyons ensemble pourquoi.

Avant la Steinway Tower : Un peu d’histoire

Pour bien comprendre comment et pourquoi la forme des buildings new-yorkais a évolué, il faut revenir dans le passé. À la fin du XIXe siècle, l’évolution des techniques de construction, comme la sidérurgie, et l’apparition de nouveaux matériaux, comme le béton armé, ont permis la construction de bâtiments de plus en plus grands. 

Aux États-Unis, l’urbanisation de New York symbolise cette évolution de l’architecture. Au tout début du XXe siècle, un certain nombre de gratte-ciel emblématiques sortent de terre. On peut par exemple citer le Singer building construit en 1908, la Metropolitan Life Tower en 1909, ou encore le Flatiron Building, inauguré en 1902 et toujours debout aujourd’hui, ce qui en fait le gratte-ciel le plus vieux de New York, en plus d’abriter les locaux du journal où travaille Peter Parker / Spider Man : le Daily Bugle

Le Flatarion Building en 1903
Le Flatarion Building en 1903

On parle alors du “premier âge d’or” de la construction de gratte-ciel. Sauf que faire pousser d’aussi gros buildings dans un périmètre aussi limité que l’île de Manhattan s’accompagne d’un certain nombre de limites. Des architectes tentent alors de réguler la croissance exponentielle de ces gratte-ciel qui, selon eux, avait un impact négatif sur la silhouette de la ville.

De plus, l’élévation permanente de ces bâtiments posait des problèmes nouveaux. En cas d’incendie par exemple, il était impossible d’intervenir aussi haut. Autre problème, une partie de la ville se retrouvait privée de soleil, l’ombre des buildings étant trop importante pour que la lumière atteigne le sol. Un projet sera d’ailleurs plus décrié que les autres : l’Equitable Building

L’Equitable Building et la Zoning Resolution

Inauguré en 1915, l’Equitable Building est un gratte-ciel néoclassique abritant des bureaux. Ce mastodonte new-yorkais s’élève à 160 mètres de haut pour une superficie totale de 170 000 m², ce qui en faisait à son inauguration l’immeuble à la plus grande superficie au monde.

Dès sa construction, cette tour fera l’objet de nombreuses critiques. Sa hauteur immense pour l’époque, mais surtout son aspect large et massif plongeait les bâtiments voisins dans une pénombre permanente. À l’époque, un journal new-yorkais a même calculé que l’ombre projetée par le bâtiment pouvait atteindre 28 000 m² sur les environs !

L’Equitable Building sur une carte postale de 1919
L’Equitable Building sur une carte postale de 1919

Vous l’aurez compris, ce problème d’ombre entre les tours new-yorkaises commençait à fortement impacter la vie des habitants. Et cela au point que, dès l’année suivante, en 1916, la mairie de New York dû agir. Avec la Zoning Resolution, la mairie édite donc une loi pour encadrer la construction des futurs gratte-ciel. 

Cette loi établit alors un système de recul à avoir lors des constructions de grands buildings. Plus un bâtiment était haut, plus il devait comporter des “reculs” pour laisser le soleil passer. Ces limites imposées n’étaient pas les mêmes pour tous les quartiers de New York. La partie sud de Manhattan, par exemple, jouissait de plus de liberté que les autres quartiers. Dans cette zone, la taille maximale des gratte-ciel devait être égale à deux fois et demie la taille de sa rue. Et c’est à partir de cette mesure que l’on calculait le fameux système de recul.

La Zoning Resolution appliquée dans différents quartiers.
La Zoning Resolution appliquée dans différents quartiers.

Bon, essayons d’imager un peu tout ça. Les affaires fonctionnent, César décide donc d’installer son siège à New York. Pour l’occasion, il désire construire une tour, non loin de notre fameuse Steinway Tower. Dans ce secteur, la rue fait 20 mètres de large. La taille maximale dans le quartier est de deux fois et demie la taille de la rue, donc on multiplie 20 par 2.5. La César Tower peut donc s’élever à 50 mètres. Au-delà de ces 50 mètres, le building devra faire un “recul”. 

Le système FAR

C’est cette loi qui permit de faire émerger le style pyramidal emblématique de certains gratte-ciel de New York. Le Rockefeller Center, par exemple, mais aussi et surtout le plus iconique de tous, l’Empire State Building

Photo aérienne de l’Empire State Building où l’on voit les “reculs” visibles depuis sa base.
Photo aérienne de l’Empire State Building où l’on voit les “reculs” visibles depuis sa base.

En 1961, la Zoning Resolution est modifiée pour mieux s’adapter à l’urbanisation moderne de New York. Pour ce faire, de nouvelles règles de zonage sont mises en place. C’est ce qu’on appelle le système FAR, pour Floor Area Ratio

L’idée est alors de définir une superficie maximale pour un bâtiment en fonction de la zone de construction et de la taille du terrain destiné à recevoir ladite construction. Par exemple, un FAR de 10 permet de construire un bâtiment avec une superficie de 10 fois la taille du terrain.

Exemples d’organisations d’un bâtiment avec le système FAR.
Exemples d’organisations d’un bâtiment avec le système FAR.

Vous êtes largué ? Alors revenons à notre César Tower. Imaginons que notre tour soit construite sur un terrain de 500 m² dans un quartier où le FAR a été établi à 10. En multipliant 500 m² par 10 de FAR, on obtient 5 000 m² de surface constructible. La loi nous permet alors de répartir ces 5 000 m² comme bon nous semble. On peut par exemple faire une tour de 10 étages de 500 m². Si César préfère que l’on concurrence la Steinway Tower, on peut aussi faire une tour de 50 étages de 100 m². On a le choix.

Pour grandir, achetons du vide

Avec ce nouveau système FAR, si l’on veut que notre tour soit grande, elle doit donc s’affiner. Alors, même si cette logique est appliquée depuis les années 1960, les techniques de construction ne permettaient pas encore vraiment de construire des tours très grandes et très fines. Mais aujourd’hui, les technologies architecturales ayant avancé, on voit depuis une dizaine d’années fleurir ces buildings d’un nouveau genre. 

On les appelle les Pencil Tower, ou tours crayons en bon français. D’abord très en vogue du côté de Hong-Kong, ces gratte-ciel aux formes épurées s’imposent progressivement à New York. Pour construire aussi haut, il a fallu acheter des droits dans les airs. Et oui, à New York, tout se vend, y compris le vide. 

Les “tours crayons” de New York: 432 Park Avenue (gauche), le Madison One (centre), et la Steinway Tower (droite).
Les “tours crayons” de New York: 432 Park Avenue (gauche), le Madison One (centre), et la Steinway Tower (droite).

Toujours dans le cadre de ce système FAR, les droits aériens, air rights, peuvent se négocier entre voisins. Au-delà d’une certaine hauteur, un building doit s’entendre avec ses voisins pour être encore plus haut. Lorsqu’une tour n’a pas utilisé l’entièreté de l’espace vertical qui lui était alloué par le système FAR, elle peut revendre cet espace à d’autres tours voisines. 

De cette manière, des tours peuvent acheter les espaces aériens de tours plus basses autour d’elle pour continuer à s’élever dans les airs. Parce que oui, le but ici, c’est de construire des tours très hautes pour chercher les meilleures vues sur New York

Et la Steinway Tower dans tout ça..

Difficile de faire tenir des bureaux dans un immeuble large comme un cours de tennis. Mais heureusement, le but de la Steinway Tower n’est pas là. 

Construire une tour aussi fine, ça a un coût. Les tours crayons nécessitent des matériaux spécifiques pour contrer les effets du vent par exemple. Elle est donc construite avec le béton le plus résistant qui soit. Pour éviter les effets de balancement, un amortisseur harmonique a dû être installé au sommet de la tour. Le building possède également des “ouvertures” dans sa façade pour diminuer l’impact du vent.

Une des ouvertures de la Steinway Tower. 
Une des ouvertures de la Steinway Tower. 

Pour rentabiliser tout ça, il faut donc vendre des appartements encore plus chers. Et quelle meilleure offre qu’une vue imprenable sur Central Park ? La Steinway Tower possède donc une soixantaine d’appartements de grand luxe répartie sur 80 étages. Pour vous offrir un de ces luxueux appartements, il vous faudra débourser entre 7,2 et 61 millions de dollars. Et oui, une belle vue, c’est pas donné. 

Avec autant de rentabilité, les projets similaires de tours crayons devraient continuer à proliférer à New York. 

Vue sur Central Park depuis un appartement dans la Steinway Tower
Vue sur Central Park depuis un appartement dans la Steinway Tower

La plus célèbre sky-line du monde n’a pas fini de se réinventer. Entre prouesses architecturales, délire de riche, et éternelle volonté de construire la tour de Babel, ces tours crayons, à l’image de la Steinway Tower, n’ont pas fini de se multiplier à New York et dans le reste du monde. Au-delà de la prouesse architecturale, la Steinway Tower est surtout le résultat de l’évolution des politiques urbanistiques à New York. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre la construction de la César Tower !

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