Montmartre, c’est une colline, un symbole, une âme. Perchée au nord de la capitale, la butte a vu défiler les siècles, des druides gaulois aux artistes bohèmes. À son sommet trône fièrement la basilique du Sacré-Cœur, emblème à la blancheur éclatante. De l’Antiquité aux temps modernes, Montmartre a connu mille vies. Accrochez-vous, on vous emmène pour une petite promenade historique, sans les escaliers, promis.
Montmartre, du mont païen au XIXe siècle
Bien avant que les touristes ne s’agglutinent sur ses marches, la butte Montmartre était un site sacré. À l’époque gallo-romaine, elle abritait des temples dédiés à Mars et Mercure. Le nom même de Montmartre pourrait venir de là : Mons Martis, le mont de Mars. Mais une autre version, plus sanglante, évoque Mons Martyrium, le mont des martyrs. Selon la légende, c’est ici que saint Denis, premier évêque de Paris, fut décapité au IIIe siècle. Rien que ça.
Ce lieu de culte païen est devenu, avec l’avènement du christianisme, un site sacré pour les chrétiens. Dès le Moyen Âge, des abbayes s’y installent. On y cultive la vigne et on y creuse le gypse, qui servira à faire du plâtre. Stratégiquement située, la colline attire rapidement les convoitises. Elle devient même une commune indépendante, avec ses moulins et ses paysages bucoliques.
Mais tout change en 1860. Tout comme Montparnasse, Montmartre est annexée à Paris. Finie la tranquillité campagnarde, place à l’urbanisation. Les carrières laissent place aux maisons, les champs aux boulevards. Pourtant, l’âme de la butte survit, portée par une population bigarrée, des artistes rêveurs aux marginaux en quête d’un coin de liberté. Et ce n’est que le début de sa métamorphose.

Le Sacré-Cœur : un monument de foi et de controverses
Après la défaite de 1870 face à la Prusse et la violente répression de la Commune de Paris en 1871, la France a besoin de se racheter, spirituellement du moins. Un certain Alexandre Legentil, catholique convaincu, lance alors l’idée d’une basilique dédiée au Sacré-Cœur de Jésus, censée expier les fautes de la nation. Le projet est voté en 1873 : la basilique verra le jour sur la butte Montmartre. Un choix hautement symbolique – et pas seulement religieux.
Pour beaucoup, ériger une basilique ici, sur les ruines de la Commune, relève de la provocation. C’est la revanche des conservateurs sur les révolutionnaires. Mais qu’importe les querelles, les travaux commencent. L’architecte Paul Abadie imagine un édifice au style romano-byzantin, inspiré de Sainte-Sophie à Istanbul. Après sa mort, d’autres reprennent le flambeau. Le chantier dure… près de 50 ans !
Pas de mécène milliardaire ici, mais une souscription populaire. Chaque fidèle peut acheter une pierre. Résultat : près de 46 millions de francs récoltés. Et l’intérieur ? Un bijou. La basilique adopte une forme en croix grecque, avec un dôme qui culmine à 83 mètres. À l’intérieur, la plus grande mosaïque de France trône fièrement au-dessus du chœur. D’ailleurs, connaissez-vous le secret de sa blancheur ? Elle réside dans la pierre de Château-Landon (Seine-et-Marne). Au contact de la pluie, elle produit du calcin, une substance autonettoyante qui préserve son éclat. Cette même pierre fut utilisée pour l’Arc de Triomphe.
En 1914, la basilique est enfin achevée. Mais la guerre retarde son inauguration, qui n’a lieu qu’en 1919. Depuis, elle est restée là, imperturbable, veillant sur Paris et ses habitants. Un phare spirituel, mais aussi un symbole très politique.

Montmartre, de la bohème au tourisme de masse
Une fois la basilique achevée, Montmartre ne cesse d’évoluer. Si la fin du XIXe siècle marque le début de l’ère artistique et de la Belle Époque, c’est aussi une période de grands bouleversements sociaux. Autour de la butte, les terrains vagues du « maquis » se remplissent d’immeubles. Exit les chèvres et les moulins, bonjour les villas Art nouveau.
Mais Montmartre garde sa folie douce. Dans les cabarets, les artistes se déchaînent. Le Chat Noir, le Moulin Rouge, le Lapin Agile deviennent les repaires d’une jeunesse effervescente. On y croise Picasso, Modigliani, Apollinaire. Le Bateau-Lavoir devient une ruche d’idées et de coups de pinceau. Dans les rues, la vie continue. Les petits bals du dimanche, les guinguettes, le vin local (le fameux Clos Montmartre), tout contribue à faire de ce quartier un monde à part. La presse y est satirique, les habitants frondeurs. Montmartre, c’est un village dans la ville.
Au fil des décennies, le quartier se transforme. Le tourisme explose, les artistes s’effacent peu à peu de la Place du Tertre, remplacés par les caricaturistes et les vendeurs de souvenirs. Mais malgré tout, la magie opère encore. On se perd dans ses ruelles pavées, on grimpe ses escaliers en râlant, on admire la vue depuis le parvis du Sacré-Cœur, et surtout, on sent battre le cœur d’un Paris éternel.

Du mont païen au lieu de pèlerinage, du village d’artistes au quartier touristique, Montmartre n’a jamais cessé de se réinventer. C’est une histoire vivante, un musée à ciel ouvert, une petite bulle d’authenticité dans une ville en perpétuel mouvement. Un endroit où l’on croit encore aux miracles, même si ce n’est que celui d’un bon café en terrasse.