Tromelin : L’île des esclaves oubliés

Tromelin est une île minuscule, perdue dans l’océan indien, entre Madagascar et l’île de la Réunion. Surnommée “l’île des sables” par les Français, du fait de l’absence totale d’arbre sur son sol, cette île est, en 1761, le théâtre d’une épouvantable tragédie. A la suite d’un naufrage, des esclaves se retrouvent abandonnés sur ce morceau de terre. Quinze ans plus tard, personne n’est encore venu les chercher. Et pourtant, ils sont toujours là.. Retour sur le récit des esclaves oubliés de l’île Tromelin. 

Le naufrage de l’Utile au large de l’île Tromelin

Depuis 1722, année de sa découverte, l’île Tromelin est sous domination française. Elle n’a pas de grande importance, du fait de sa petite taille d’à peine 1 km². Qui plus est, l’île est dépourvue d’arbre et de végétation. Tromelin est simplement un banc de sable qui sert parfois de lieu de transit sur la route qui mène vers “l’isle de France”, l’ancien nom de l’actuelle île Maurice. 

Carte indiquant l’emplacement de l’île Tromelin.
Carte indiquant l’emplacement de Tromelin.

En 1761, l’Utile, un bateau de commerce français de la Compagnie des Indes, navigue en direction de l’île Maurice avec 300 personnes à son bord. Le capitaine du navire, Jean de Lafargue, prévoit d’y vendre 160 esclaves malgaches qui font partie de cet équipage. Pourtant, les autorités de l’île Maurice interdisent la vente d’esclaves. Le gouverneur de l’île voulait éviter d’avoir trop de monde à nourrir sur place. C’est pourquoi le capitaine cache les esclaves dans la cale du navire, dans le but de les revendre en secret une fois arrivé. 

Le 30 juillet 1761, malgré les avertissements de ses conseillers sur la dangerosité du secteur entourant l’île des sables, la capitaine du navire décide malgré tout d’emprunter ce chemin. Problème, ce secteur n’est pas encore bien cartographié, et est réputé dangereux. Mais pour Lafargue, l’objectif est d’être plus discret, et d’éviter les contrôles à cause de la “cargaison” du bateau. Sauf que dans la nuit, le navire finit par heurter les récifs coralliens qui entourent l’île. Le choc arrache le gouvernail et la coque du navire se brise. L’équipage n’a alors pas d’autres choix que de débarquer sur l’île Tromelin. 

Sur les 302 personnes à bord, seulement 200 survivent. Plus de la moitié des esclaves périssent enfermés dans la cale du navire par peur d’une rébellion à bord. Une dizaine de marins meurt également au même moment.

Après le naufrage: Survivre sur une île déserte

Très vite, les rescapés entrent en mode survie. Trois jours après le naufrage, une trentaine de Malgaches sont déjà morts de privation, ce qui n’est le cas d’aucun Français. Sonné par le naufrage, Lafargue laisse le commandement des opérations à son second, Barthélémy Castellan du Vernet. Celui-ci décide de faire construire deux campements, un pour les esclaves, un autre pour les marins. On récupère alors des morceaux de l’épave pour tenter de construire une embarcation de fortune. Une fois achevée, l’embarcation ne peut pas embarquer tout le monde. Les 120 marins survivants quittent donc l’île sur le navire de fortune, abandonnant derrière eux les 60 esclaves qui ont survécu

Avant d’embarquer, Castellan du Vernet promet aux esclaves de venir les chercher. Malgré le soleil, le manque d’eau et de nourriture, les esclaves s’organisent alors pour survivre en attendant le sauvetage tant espéré. Avec les restes de l’Utile, ils parviennent à construire des bassines en cuivre pour récolter l’eau de pluie. Ils arrivent également à creuser un puits pour accéder à une eau à peine potable. 

Concernant la nourriture, les esclaves ont d’abord récupéré les quelques vivres présents sur l’Utile. Mais très vite, les provisions sont épuisées. Pour parvenir à s’alimenter, les malgaches ramassent des coquillages, des tortues, des algues, ou chassent des oiseaux de mer. Les esclaves récupèrent les plumes de ces oiseaux pour confectionner des pagnes ou des vêtements qui les protègent du soleil et du vent. 

Car oui, dépourvue de toute végétation, l’île est fortement sujette aux vents, aux tempêtes et autres cyclones. Pour se protéger, les survivants construisent des habitations primaires. Trois “bâtiments” furent découverts, construits à l’aide de corail et de pierres. C’est une microsociété qui se forme alors entre les rescapés. 

Vestige des bâtiments de fortune construits par les esclaves, fouillés et analysés par l’INRAP depuis 2006.
Vestige des bâtiments construits par les esclaves, fouillés et analysés par l’INRAP depuis 2006.

Quinze ans après, le sauvetage des rescapés de Tromelin par.. Tromelin

Du côté des Français, les 120 marins ayant embarqué sur le navire de fortune parviennent à atteindre Madagascar en quatre jours. Barthélémy Castellan du Vernet, soucieux de tenir sa promesse, demande de nombreuses fois l’autorisation d’aller secourir les esclaves qu’il a laissé derrière lui. Mais les autorités françaises sont furieuses contre Lafargue qui n’a pas obéi à l’interdiction d’embarquer des esclaves. Castellan du Vernet voit donc sa demande catégoriquement refusée. 

De retour en France en 1762, Castellan du Vernet continue de demander le secours des esclaves malgaches. Mais avec la fin de la guerre de Sept Ans (1763), et la faillite de la Compagnie des Indes, les esclaves finissent par tomber dans l’oubli le plus total

“je répresentois aux Commandants les obligations que nous avions aux noirs que nous avions été forcés à régrét d'abandonner”. Lettre de Castellan du Vernet au secrétaire d’Etat à la Marine demandant le sauvetage des esclaves abandonnés sur Tromelin.
je répresentois aux Commandants les obligations que nous avions aux noirs que nous avions été forcés à regret d’abandonner”. Lettre de Castellan du Vernet au secrétaire d’Etat à la Marine demandant le sauvetage des esclaves abandonnés sur Tromelin.

Il fallut attendre 1773, soit douze en plus tard, pour qu’un navire passant dans le secteur se rende compte qu’il y avait encore des survivants ! Les autorités françaises envoient alors un navire, la Sauterelle, pour tenter de sauver les esclaves. Mais les récifs coralliens de l’île empêchent les bateaux de s’approcher de Tromelin. Après deux tentatives de sauvetage, c’est finalement un échec. 

Ce n’est qu’en 1776, quinze ans après le naufrage, que les esclaves sont finalement secourus. Jacques-Marie Boudin de Tromelin, commandant de La Dauphine, parvient enfin à accoster sur l’île qui portera plus tard son nom. Sur place, il ne reste que huit personnes survivantes: Sept femmes et.. un bébé de huit mois ! Tromelin découvre alors les campements de fortune, un feu encore allumé et encore alimenté par les restes de bois de l’Utile

Jacques Maillart du Mesle, intendant de l’isle de France, recueille alors les rares survivants et les déclare libres. Finalement, ce sont une cinquantaine d’esclaves qui auront perdu la vie sur cette île. La plupart d’entre eux sont morts de faim ou de soif. Selon les dernières survivantes, un petit groupe de 18 personnes auraient même tenté de quitter l’île sur un radeau de fortune. Une tentative qui termina vraisemblablement au fond de l’océan..


Les survivants de l’île Tromelin sont un exemple de résilience et de volonté. Pour survivre sur cette île quasi déserte, les Malgaches ont usé, avec beaucoup d’intelligence, de tous les moyens qu’ils avaient sous la main pour optimiser au maximum les conditions de vie extrêmes auxquelles ils devaient faire face. Cette tragédie met la lumière sur l’horreur qu’a été la traite négrière. Elle constituera finalement un formidable levier de prise de conscience en France pour abolir l’esclavage. L’histoire sera par exemple reprise par Nicolas de Condorcet dans un son ouvrage “Réflexions sur l’esclavage des nègres”, parut en 1781, plaidant pour l’abolition. La France abolit finalement l’esclavage une première fois en 1794.

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